Sortie d'Usine #0

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PORTRAIT CINÉPHILE

ENTRETIEN

QUENTIN JAGOREL PROPOS RETRANSCRITS PAR ARIANE KUPFERMAN-SUTTHAVONG

J’

ai vingt-et-un ans et je suis un double-diplôme entre Sciences Po et HEC, un double-diplôme d’études spécialisées entre le public et le privé –  typiquement le développement  –, Corporate and Public Management. Je rentre d’une année en Argentine, pendant laquelle j’ai tourné mon film et mes journées sont occupées principalement à la rédaction-enchef de Profondeurs de Champ, qui est une revue culturelle généraliste. Quoi dire d’autre ; je suis provincial dans l’âme, très profondément breton et fier de l’être. Qu’Importe Hier, est un moyenmétrage tourné entre l’automne 2011 et le printemps 2012. Le 82 SORTIE D’USINE

format est plutôt rare, un peu bâtard – trente-huit minutes – ce qui le rend compliqué à présenter dans des festivals. Je l’ai tourné avec des amis rencontrés à Buenos Aires, un Français et une Italienne surtout, et un Equatorien, qui était notre technicien. L’histoire, c’est un jeune homme en rupture avec sa famille, qui fuit la France pour l’Argentine, mais qui doit soudain faire face à la mort de son père. C’est un film purement artisanal, il est fait avec zéro fonds. Vraiment zéro. On tournait lorsqu’on était disponible, c’est-à-dire quatrecinq heures par semaine. On était trois, avec des cours toute la journée, et une contrainte logistique, qui

était que l’actrice principale partait à la fin du semestre, en décembre. Toutes les prises où elle apparaît ont été filmées avant la date butoir. Ce qui est intéressant à savoir également, c’est que la scène du voyage – relativement centrale – a été tournée bien avant le reste du film, cinq mois avant environ, dans la région de Salta, au Nord de l’Argentine. C’est particulier, parce que je mélange ma vie et la vie du film ; j’étais en vacances, les personnages sont en vacances, je filmais mes amis sans qu’ils ne le sachent. Parallèlement, je réalise des documentaires. C’est d’ailleurs par là que j’ai commencé. En 2006, il y a eu un reportage sur les coulisses d’une comédie musicale bretonne, puis des carnets de voyage. Enfin, la Californie, j’avais dix-sept ans, et c’était du Kerouac mal agencé. J’ai également un autre projet en cours ; c’est un second film que j’ai tourné en Argentine, qui s’appelle Daguerrotipas  ; daguerréotype en espagnol. C’est un documentaire sur le processus créatif et l’écriture d’un roman. C’est une écrivain argentine qui a écrit un livre, Daguerrotipas, et on retrace avec elle la naissance de ce roman, à travers des lectures en voix-off, des images, des interviews de ses proches. Je ne suis pas la même personne lorsque je critique et lorsque je réalise ; l’une des deux étiquettes est bien plus périlleuse que l’autre. Ma culture cinématographique ne vient pas – de manière consciente en tout cas – irriguer mes idées de cinéma. Mes références ne sont pas forcément maîtrisées, ou alors davantage dans mes premières créations que dans Qu’Importe Hier. Lorsque S’en Vient Le Soir, c’est très latin – il y a du Moretti – et en même temps filmé un peu à la manière de l’Est, avec des plans très fixes, très longs. Dans tous mes films, les gens dansent, aussi  ! Je pense que ça vient des films que je voyais, étant jeune – Jacques Demy, un peu... En tout cas, c’est davantage du Demy que du Honoré. J’ai l’impression de faire du cinéma qui ressemble beaucoup au cinéma français des années soixante, soixante-dix.


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