Sortie d'Usine #0

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LES ENTRETIENS DE L’USINE

le film est bien moins violent que la réalité de la Salepêtrière

rencontrés, c’était le jour où ils ont tourné la scène que j’appelle la scène du « casting », celle où Charcot voit les malades pour la première fois, où Augustine, qui n’est pas vue par lui, le voit et est fascinée par lui. C’était un pari : est-ce qu’il y aura une alchimie entre eux ? Pour les scènes avec le singe, je disais à Soko et à Lindon « là vous n’êtes plus Augustine et Charcot, vous êtes juste Vincent et Soko qui jouez ensemble avec le singe. Donc oubliez vos personnages  ». Pour moi, c’était la scène d’amour du film. La scène de passage à l’acte n’était pas du tout la scène où ils font l’amour : cette scène-là est filmée en planséquence, de très loin, il y avait quelque chose de très froid dans cette scène qui n’était absolument pas sexuelle. Les scènes d’examen, en revanche, étaient les scènes sexuelles. Entre nous, on disait toujours : la scène de la soupe, c’est la scène de fellation, la scène de la leçon c’est la scène du peep-show. La scène du compresseur c’est la scène S-M, la scène du singe, c’est la scène de sexe. A chaque fois, on essayait toujours de la tourner dans cette direction. Il y a l’autre rôle féminin fort de ce film qui est à la fois le contraire et le double en quelque sorte d’Augustine, c’est la femme de Charcot, interprétée par Chiara Mastroianni. Je voulais vraiment montrer l’emprisonnement des corps. Notamment dans la scène où elle enlève le corset. Les comédiennes, lorsqu’elles le portaient, n’en pouvaient plus. Elles suffoquaient à la fin de la journée. A la fin de leur vie, elles étaient déformées, il y avait des marques, des grosses traces rouges, et je voulais montrer ça à travers ce personnage. La vraie Mme Charcot n’était pas du tout aussi belle que Chiara Mastroianni, mais je voulais montrer qu’elle était belle et intelligente et qu’elle avait l’ascendant sur Charcot. Ce n’est pas du tout le prototype d’une femme larguée. D’autant plus que la vraie Mme Charcot avait en effet tous les contacts, toutes les relations. C’était génial de pouvoir travailler avec elle. Elle a réussi à

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jouer cette espèce de femme froide, très cérébrale. Pour un premier film aussi ambitieux - reconstitution historique, sujet atypique - estce que la mise en production du film a été difficile ? La phase qui a été très dure était la phase d’écriture. Justement par rapport à tout ce travail de distanciation que j’ai fait. J’ai fait énormément de recherches, j’ai beaucoup lu sur le sujet. Le déclencheur a été la lecture de La Guérison Par l’Esprit de Zweig. A ce moment là, j’ai commencé à me fasciner pour les travaux de Charcot. J’ai aussi étudié toute l’iconographique photographique de la Salepêtrière. Mais à chaque fois je me disais : « un film ce n’est pas un sujet ». Même si le sujet est génial. Ce qui m’impressionnait, c’est que j’avais trop d’images. Cette accumulation faisait que je n’arrivais pas à aller vers le cinéma. Du coup, j’ai dû oublier ce que j’avais lu, pour tout digérer et aller vers la fiction, me permettre de transgresser la vérité pour aller vers mes partis-pris de récit. Mon partipris, c’était de me concentrer sur la relation et de regarder à la loupe ce rapport. Ça a été très compliqué. Surtout qu’il y a une tradition de respecter la réalité historique, si bien qu’à un moment je me suis dit : il ne faut rien respecter, il faut tout transgresser. Après, on est arrivé à une version du scénario qui a assez bien fonctionné. Quand j’ai envoyé le scénario à Vincent Lindon, il m’a rappelée deux jours plus tard. Une fois qu’il y avait Lindon attaché au projet, il y avait une sorte de réalité économique qui se mettait en place. Je ne dis pas que ça a été trop facile, mais tout s’est enchaîné et on a tout eu en termes de financement. Notre différence a fait qu’on est sorti du lot. Ça correspond au type de films que j’aime et que j’aimerais continuer à faire. Ces films qui sont à la fois tournés vers le public et avec en même temps une radicalité tournée vers le cinéma. Par rapport à l’écriture, est-ce que les recherches que vous avez faites ont re-orienté le scénario ? Sinon, de quoi est-ce


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