Sortie d'Usine #0

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LES ENTRETIENS DE L’USINE

Tran Anh Hung La beauté vient de la justesse QUESTIONS : Emile Bertherat

A

près avoir marqué l’année 2011 avec sa très belle adaptation du roman de Murakami, La ballade de l’impossible, le cinéaste Tran Anh Hung est de retour avec un courtmétrage projeté au Musée Guimet dans le cadre de l’exposition Le Thé - Histoire d’une boisson millénaire. L’occasion de l’interroger sur sa vision singulière du cinéma.

Ce qui marque avant tout dans vos films, c’est votre manière de traiter le temps. C’est par la temporalité qu’on entre dans la subjectivité des personnages. Comment abordez-vous cette notion ? Le temps est pour moi une notion essentiellement musicale. Travailler le temps d’un film, c’est travailler la musique du film - non pas la musique qu’on utilise pour le film mais le déroulement du film en tant que musique, en tant que ressenti rythmique et mélodique. C’est abstrait et en même temps très physique, ça atteint directement le spectateur. Pour moi, ce tempslà est extrêmement intuitif, je ne me dis jamais à l’avance qu’une 42 SORTIE D’USINE

scène doit avoir telle durée. C’est en essayant sur le plateau avec les acteurs que je sens la justesse de la scène par rapport au projet global qu’est le film. Il y a bien sûr un grand plaisir à communiquer avec le spectateur en jouant sur le temps. Notamment en lui donnant le sentiment d’une durée réelle pour certaines actions, pour le bien de la perception de la psychologie des personnages. Il y a toute une stratégie à mettre en place, qui est parfois consciente mais parfois aussi purement intuitive. Il peut arriver qu’on ne trouve la stratégie qu’au stade du montage, en inversant des scènes, en les déplaçant, pour pouvoir créer le plaisir de la durée. C’est quelque chose qui me tient à cœur, et je suis content

que l’interview commence par cette question car c’est l’une des choses les plus subtiles qui soient au cinéma : comment travailler un paramètre qui ne fonctionne que sur un niveau intuitif, sensoriel, abstrait, et qui n’est pas explicable. Malheureusement, le cinéma d’aujourd’hui se préoccupe davantage de bien raconter une histoire. Ce n’est pas l’essentiel pour moi. Il faut plutôt créer quelque chose qui touche le spectateur de manière mystérieuse, secrète et qui permet une ouverture vers des prolongements poétiques. Quelque chose s’ouvre chez le spectateur, qui serait de l’ordre de la poésie pure. Le travail du temps et de son déroulement est essentiel dans ce processus.


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