Sortie d'Usine #0

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jamais été discutés. A la fin du film, on voit la démolition qu’a subi tout le quartier, c’est en quelque sorte une métaphore du pouvoir oppressant les gens. Avant, les tanks chargeaient dans les rues, maintenant, c’est une autre sorte de tanks qui attaque la tradition et les maisons. D’une certaine manière, Tiananmen ne s’est jamais arrêté, le pouvoir a continué d’asservir le peuple sous une autre forme. La même histoire se répète, mais la manière diffère. C’est pour cela que j’ai voulu faire le film. Il faut prendre de la hauteur : c’est avant tout un film sur les bouleversements connu par la jeunesse, et cela, à n’importe quelle époque. Tiananmen n’est qu’un prétexte. J’ai voulu montrer une vision antiélitiste des choses. On remarque aisément que le film n’a pas été tourné en numérique, est-ce une volonté artistique ou une nécessité technique ? Oui, le film a été entièrement tourné en Super 16. C’est bien sûr une volonté artistique. Dans les années 1980, tout était tourné en pellicule et non en digital, je voulais garder cette esthétique qui correspond au propos. Il fallait rester dans l’imaginaire du passé. C’est également la raison pour laquelle il y a beaucoup de longs plans en mouvement dans le film. La caméra n’est jamais posée, l’idée que nous avions avec mon chef opérateur, Shu Chou, étaient de retranscrire au mieux l’atmosphère et l’ambiance de cette époque. Deux séquences sont particulièrement fortes et réussies dans le film, celles dont les bouteilles de Coca-Cola sont l’objet central. Ces dernières semblent alors devenir l’incarnation de l’Occident et de ses dérives. Dans la première, le personnage de Lanmi est totalement excité à l’idée d’en boire pour la première fois et dans la seconde, le Coca-Cola lui sert de liquide pour absorber des médicaments et se droguer. Sa fascination pour l’occident la détruit petit à petit, voyez-vous l’Ouest comme un virus qui a gangréné la société chinoise ?

LES ENTRETIENS DE L’USINE Le problème ne vient pas de l’Occident mais de la manière dont nous l’avons reçu. La société chinoise n’a intégré que son coté matérialiste sans jamais s’imprégner de son coté spirituel. Aujourd’hui, nous achetons des sacs Louis Vuitton ou Gucci mais nous n’avons jamais intégré la démocratie et la liberté qui devraient venir avec. Par exemple, prenons les États-Unis, le pays le plus capitaliste du monde, où toute la société tourne autour de l’argent mais qui est également la plus grande démocratie. Le gouvernement a tout fait pour nous faire intégrer cette manière de penser, mais tout en gardant une société basée sur un régime totalitaire. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans mon film : ce matérialisme poussé gangrène la Chine et pourrait finir par la détruire. Coca-Cola et Louis Vuitton sont le même problème à un niveau pécuniaire différent. Le parti communiste en est à la base : il vous encourage à consommer du Louis Vuitton et du Coca-Cola mais vous oppresse si vous demandez la démocratie et la liberté. Parlons un peu de production, où et comment avez-vous réussi à trouver des financements  ? Quel est le budget total du film ? J’ai mis deux années entières pour réussir à trouver tous les financements nécessaires. La totalité émane de l’Europe, notamment des Pays Bas où j’ai obtenu l’aide au développement du Hubert Bals Fund du Festival International de Rotterdam. Cette aide est cruciale pour les cinéastes indépendants chinois et les soutient depuis longtemps (Par exemple Zhang Yuan pour Beijing Bastard ou Wang Xiaoshuai pour Frozen). J’ai également récolté des fonds en Suisse et en Allemagne. Je n’ai trouvé aucun financement en Asie. Le budget définitif est d’environ 2.000.000 de yuans, soit environ 200.000 euros.

le parti communiste vous encourage à consommer du Louis Vuitton et du Coca-Cola mais vous oppresse si vous demandez la démocratie et la liberté

Etre réalisateur indépendant implique de devoir tourner sans autorisation, dans quelles conditions s’est déroulé le tournage, avez-vous dû tourner en équipe réduite pour éviter SORTIE D’USINE 39


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