Sortie d'Usine #0

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LES ENTRETIENS DE L’USINE

Shu Haolun Retour sur le Cinéma Indépendant Chinois

L

questions : MARTIN GONDRE

e Festival Shadows du cinéma indépendant chinois, qui s’est tenu au Studio des Ursulines du 9 au 17 novembre, a permis au public parisien d’avoir un aperçu de la création cinématographique actuelle en Chine. De toutes les œuvres projetées, l’une d’entre elles sort clairement du lot : il s’agit de Black and White Photo de Shu Haolun. Enthousiasmé par ce film, Sortie d’Usine a décidé d’aller plus loin et de rencontrer cet homme encore à la genèse de sa carrière. Avant toutes choses, il semble nécessaire pour comprendre ce qu’est le cinéma indépendant chinois de revenir sur le contexte dans lequel il s’est développé. En juin 1989, alors que la Chine s’ouvre au monde, ont lieu les évènements de Tiananmen. Ce bain de sang est non seulement un choc pour la planète entière, mais surtout un traumatisme profond pour la société et le peuple chinois. Comprenant que leurs espoirs de démocratie étaient vains, une nouvelle génération d’artistes et de cinéastes décide de sortir du système et de travailler en marge de la société. Le premier à faire ce choix est Zhang Yuan qui réalise Mama en 1990. Ce film et le suivant Beijing Bastard (1993) vont lancer une nouvelle vague de cinéastes. Très vite caractérisée comme la 6ème génération de réalisateurs ou la « génération indépendante », leurs œuvres sont aux antipodes du style de leurs prédécesseurs, notamment Zhang Yimou et Chen Kaige, qui avaient pourtant reconstruit un cinéma national après l’enfer de la Révolution Culturelle. Ainsi, Wang Xiaoshuai réalise The Days en 1993. Il y développe l’histoire d’un couple d’artistes dont le mariage s’épuise face aux difficultés de la vie. Dans

le même temps, Jia Zhangke met en scène Xiao Wu, Artisan Pickpocket (1997), histoire d’un jeune chinois devenu pickpocket à Fenyang et totalement perdu dans une société en pleine mutation qu’il ne reconnaît plus. Le cinéma de ces jeunes hommes est beaucoup plus cru, mêlant fiction d’un réalisme terne et documentaire sur le vif. L’image est sale et la caméra, à l’épaule. Ils n’ont pas connu l’expérience collective et travaillent sur l’individu et son destin. Ils montrent une Chine très différente de l’image que veut donner le Parti, une Chine réelle et en pleine mutation et filment pour la première fois ceux qui n’ont jamais eu la parole. Il faut noter que la caméra numérique fait son apparition en Chine au même moment et que ce nouvel outil a rendu possible à lui tout seul le développement de ce mouvement. Cependant, le prix de cette liberté (ne pas passer devant le Bureau du Film, l’organe de la censure du Parti Communiste) est d’être condamné à la marginalité : les films ne peuvent pas sortir en Chine et pire, ils y sont interdits. De plus, la censure n’est pas tout, ils ont pendant longtemps été réellement chassés : la répression allant de la

confiscation de passeports à la mise sur liste noire. En Avril 1994, sept réalisateurs, dont Zhang Yuan et Wang Xiaoshuai, ont été bannis. Des directives interdisant tous contacts avec eux ont été envoyées à tous les professionnels du métier. Ainsi, pour obtenir le droit de cité dans leur propre pays, il ont dû passer par la reconnaissance internationale. Entre autres, Jia Zhangke obtient le Lion d’or à Venise en 2006 pour Still Life et Wang Xiaoshuai se voit décerner le Grand Prix du Jury à Berlin en 2001 pour Beijing Bicycle. Depuis, les relations avec les autorités vont mieux, à tel point que des ponts se sont créés entre les deux sphères officielle et indépendante. Les réalisateurs ont aujourd’hui l’occasion de travailler publiquement. En 2012, Shu Haolun s’inscrit dans la continuité de ce mouvement. A tout juste 40 ans, il est Professeur à l’Université de Shanghai et réalisateur indépendant ayant la particularité d’avoir fait ses études de Cinéma aux États-Unis. Cet entretien est l’occasion de revenir sur son expérience personnelle, de son rapport au cinéma et de l’état du cinéma indépendant en Chine.

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