Sortie d'Usine #0

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Dossier APRÈS MAI

un engagement de jeunesse texte : Emile Bertherat

C

inéaste insaisissable, Olivier Assayas est souvent là où on ne l’attend pas. Après avoir surpris avec sa précédente réalisation, Carlos (série diffusée sur Canal+ dont une version courte était sortie en salles), plongée dans la vie du terroriste vénézuélien, il reste avec Après mai dans l’évocation du passé récent. De fait, le film commence en 1971, mais contrairement à Carlos, il fait figure d’œuvre autobiographique. L’histoire de Gilles est universelle  : partagé entre ses convictions politiques et ses aspirations artistiques, il navigue entre un engagement dans des groupes d’extrême-gauche et des études de peinture. En se confrontant à un point de départ pareil, Assayas fait de son cinéma un terrain de réflexion, puisque l’articulation entre les luttes politiques du personnage et ses ambitions artistiques plus personnelles fournissent au film une matière très dense. Gilles, qu’on peut voir autant comme un avatar d’Assayas lui-même que le visage d’une génération post-soixante-huitarde, est constamment en gravitation entre ces deux pôles. Pourtant, Après mai n’a rien d’un film théorique. Les interrogations existentielles de Gilles s’inscrivent dans un cadre concret, et témoignent des préoccupations d’une génération en proie au doute, qui préfère s’engager plutôt que de rester dans l’inaction. Justement, le film est ancré dans l’une des périodes les plus complexes à représenter  : les

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années qui suivent Mai-68. La fiction française tombe en effet trop souvent dans l’écueil de l’utopie interrompue, du rêve brisé. Comme si, par peur de s’éloigner des faits, il fallait se cantonner à la simple observation de la chute des idéaux. Assayas fait ici le pari inverse. Il n’y a aucun académisme dans sa reconstitution de la période, car il considère le début des années 70, non comme un cadre achevé et péremptoire, mais plutôt comme un temps où tout est encore à faire et à mettre en place. Tout est filmé, non pas au passé, mais au présent, et c’est là qu’est la valeur du film. Devant la caméra d’Assayas revit alors un temps de profusion intellectuelle et de pulsions libertaires. Son évocation n’a rien de nostalgique. Pas de «  C’était mieux avant », mais plutôt « C’était comme ça  ». Au spectateur de juger. L’ambition du film est double, puisqu’il s’agit de dresser non seulement le portrait d’un personnage, mais plus globalement le portrait d’une époque, dans ce qu’elle peut avoir de contradictoire et de périssable. En ce sens, le soin -  vertigineux  - porté aux décors et aux costumes n’est pas là pour l’esbroufe  : il était important de restituer la période pour que l’on puisse en prendre la mesure. Le résultat est saisissant. Le véritable enjeu du film devient alors l’immersion du spectateur dans le bouillonnement post-Mai-68. Au dernier Festival de Venise, le film a été couronné par le prix, étonnant, du scénario. Le choix est en effet


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