Sortie d'Usine #0

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Dossier APRÈS MAI Le film est très référencé, autant sur le plan cinématographique que littéraire et musical, et pourtant vous transcendez l’idée qu’on se fait aujourd’hui de l’après Mai 68. Comment avez-vous recréé l’époque tout en captant les éléments insaisissables ?

j’ai essayé de retrouver, non pas tant ce qui était emblématique de l’époque, mais ce qui résonnait en moi

J’ai vécu les années soixante-dix ; j’en ai une assez bonne mémoire. S’il y avait une sorte de portail spatio-temporel qui s’ouvrait et que je me retrouvais à cette époque-là, je ne serais pas plus surpris que cela. Dans mon esprit, elle existe autant que le présent. Mais c’est vrai que pour arriver à la retranscrire au cinéma, il y a eu un véritable travail. Mais c’est le cas dans tous mes films. J’avais cette idée de recréer l’ambiance de l’époque, y compris dans ses nuances et sa dialectique. C’était un peu recréer un monde, le refaire vivre hors des idées reçues qu’on en a aujourd’hui. J’ai été très maniaque sur les détails : les tracts, les journaux, les livres, les disques, les slogans, les affiches… Il y a quelque chose du sujet du film qui était sur le mode de communication, qu’il soit visuel ou intellectuel. Au niveau de la musique, la bande-son d’Après Mai est pour moi la bande-son de ces années-là. C’est la musique la plus autobiographique qui soit. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’elle s’est insérée aussi facilement à l’intérieur OLIVIER ASSAYAS du film. J’ai essayé de retrouver non Né en 1955 à Paris pas tant ce qui était emblématique de l’époque mais ce qui résonnait Filmographie Selective en moi. Après, j’ai eu la volonté 1986 Désordre d’en faire quelque chose qui soit Prix de la Critique Internationale Mostra de Venise davantage universel, qui ait à voir Paris S’Éveille 1991 avec la jeunesse, qui interroge aussi Prix Jean-Vigo ces années-là, qui montre autant L’Eau Froide 1994 leur beauté que leur profondeur et Irma Vep 1996 justement, qui laisse résonner, les Fin Août, Début Septembre 1998 choses dans leur authenticité. C’est 2004 Clean Prix d’Interprétation Féminine pour Maggie Cheung une période qui était passionnante Festival de Cannes parce qu’il y avait une entièreté L’Heure D’Été 2008 dans l’engagement, une manière Prix du Meilleur Film Étranger LAFCA de partir sur des pistes sans se 2010 Carlos Golden Globe 2011 Meilleure Mini-Série retourner, de renoncer à mille Après Mai 2012 choses et, enfin, de payer de sa Prix Osella du Meilleur Scénario Mostra de Venise personne.

Comment percevez-vous Mai 68 dans le film, sachant que vous le situez après l’événement historique  : est-ce qu’il y a 22 SORTIE D’USINE

davantage d’idéalisation ou de doute ? J’ai envie de dire que Mai 68, je l’idéalise ! Mais c’est vrai que le débat politique, ses contradictions, ses limites, ses impasses terribles, ce sont des choses sur lesquelles il ne faut pas s’aveugler. J’essaie évidemment de ne pas le faire. J’ai été le premier à ironiser sur cette époque lorsqu’on en est enfin sorti, parce qu’elle était devenue pesante, voire intolérable. J’ai été contre la déformation de ces années-là, mais aussi contre leur idéalisation. La politique des années soixante-dix était complexe, contradictoire, souvent fermée à ce qui correspondait aux courants les plus vivants, les plus radicaux, du point de vue du renouvellement de la société et de la liberté des individus. J’avais envie, à force d’entendre décrire cette époque aussi mal, de remettre le curseur au bon endroit. C’est ce que j’ai fait dans un texte, Une Adolescence Dans l’Après Mai, qui m’a réconcilié avec cette époque et ses valeurs et qui m’a peut-être réconcilié avec le jeune garçon que j’avais été à ce temps-là. Enfin, maintenant, je pense que j’en suis quitte avec les années soixante-dix… Pour un bon moment en tout cas. Et le rapport entre l’art et la politique ? Aujourd’hui, la séparation entre art et politique est installée, mais à l’époque, elle était impossible. L’art et la politique étaient liés, c’était une seule et même chose, et c’était inimaginable un art qui ne serait pas d’une manière ou d’une autre politique. Y compris dans le sens où les films produits par l’industrie à l’époque semblaient des films bourgeois du fait des conditions de leur fabrication. C’étaient des films qui, de ce point de vue-là, prenaient parti politiquement. Cette histoire de l’articulation entre l’art et le politique, c’est vraiment l’histoire du vingtième siècle. L’un des personnages d’Après Mai dit « on fait des films pour le peuple et non pas pour des esthètes  », comment vous situez-vous par rapport à cette


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