Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

sent de si gros seigneurs qu'à peine peuvent-ils se résoudre de faire un pas sans être dans un carrosse à six chevaux. Mais peut-être que cela leur feroit de la peine et je n'aime pas d'en faire à personne. D'ailleurs ils sont louables d'avoir su se tirer de la misère et d'avoir amassé du bien, et ce qu'on leur doit souhaiter, c'est qu'ils en fassent un bon usage pour l'autre vie... Quoi qu'il en soit, il y avoit dès le temps que j'étois à Léogane (1701) un nombre considérable de carrosses et de chaises, et je ne doute pas que le nombre n'en soit fort augmenté depuis mon départ. Il n'y avoit presque plus que de petits habitants qui allassent à cheval ; pour peu qu'on fût à son aise, on alloit en chaise..., et je ne pouvois m'empêcher de rire quand je voyois le marguillier de la paroisse de l'Ester dans son carrosse, qui sembloit ne pouvoir se servir de ses pieds depuis qu'il avoit épousé une veuve riche, lui qui, trois ans auparavant, étoit tonnelier dans un vaisseau marchand de Nantes1 ». Comment se créent si rapides fortunes? Là-dessus gouverneurs et intendants gardent à bon droit un entier scepticisme. « On ne connaît guère, écrivent-ils, la source d'un bon nombre 2. » La plupart sont sans doute des fortunes agricoles et beaucoup sont dues au travail acharné des premiers colons. Mais combien d'autres dont il ne faudrait pas trop approfondir l'origine ! Cela achève de peindre le singulier état d'esprit de la colonie. Tel ou tel gros habitant n'est pas moins considéré, bien 1. Labat, Nouveau voyage aux Iles, 1742, t. VII, p. 195-196, 205. 2. Lettre de M. Maillart, intendant, du Petit-Goave, 16 mai 1744 (Ibid., vol. LXV).


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