Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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ORIGINES DE LA COLONISATION ET PREMIERS COLONS

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Manquant du recul nécessaire pour juger de la politique de leur gouvernement, les représentants de la France à

Saint-Domingue,

au

commencement

du

XVIIIe siècle, ne le cèdent guère généralement, en leurs doléances, aux plus farouches détracteurs de Law et de Choiseul. Leur correspondance en fait foi. Elle s'exhale en continuelles lamentations sur les envois qui leur été des engagés, on se représente volontiers ces gens-là comme des « nationaux » très honorables, auxquels il ne manquait que la fortune pour réaliser leurs rêves de colonisation. En réalité, Esquemeling et Raveneau de Lussan ne paraissent avoir été, l'un qu'un « amateur », l'autre qu'un fils de famille en quête d'aventures ; ce qu'il dit de luimême le prouve assez (Raveneau de Lussan, Op. cit., p. 1 et suiv.). La plupart des engagés étaient en effet au-dessous, très au-dessous de ces deux types. (Cf., ci-après, l'appréciation qu'en donne un gouverneur de Saint-Domingue.) Au vrai, beaucoup n'étaient pas autres que ces vagabonds sur le sort desquels on s'apitoie et dont on condamne d'ordinaire sur un ton si indigné la relégation, et beaucoup ne devaient pas appartenir à une catégorie sociale très différente des hommes racolés pour l'armée, puisqu'une ordonnance du Roi, du 17 novembre 1706, constate que « la levée des engagés est devenue difficile par les recrues qui se font en ce moment pour les armées. » (Moreau de SaintMéry, Lois et constitutions..., t. II, p. 83-84.) Cf. dans Moreau de SaintMéry, Op. cit., t. I, p. 220-221, un arrêt du Conseil de la Martinique, du 16 février 1671, qui condamne des vagabonds à servir comme engagés. Dès lors, tous les éloges que l'on accorde au système des engagés peuvent aller au système de peuplement qui fut celui de l'ancien régime et qui serait, même de nos jours, j'ose le dire, le meilleur à adopter au point de vue des intérêts de nos colonies.... et de la métropole, si nous prétendions encore créer des colonies de peuplement, ce à quoi nous avons renoncé, fort sagement du reste, disent quelques-uns. A condamner le système de la transportation de force, il ne faudrait pas exagérer d'ailleurs, comme le fait M. Pauliat. Cet auteur se déclare — à contre-cœur, évidemment — hostile à ce système favori de la monarchie. « Il n'est pas besoin de dire, remarque-t-il, quels déplorables colons ces malheureux [les récidivistes] devaient faire, lorsqu'on les avait envoyés aux colonies et qu'ils étaient remis en liberté après cinq ans de galères. » Pourtant, ajoute-t-il, « il est probable qu'ils durent être la pépinière où se recrutèrent ces hommes de sac et de corde aux quels on donna à cette époque [vers 1661, si j'entends bien] le nom J e boucaniers et de flibustiers et qui, pendant près de soixante ans, véçurent en véritables forbans dans les Antilles. » (Pauliat, Op. cit., P. 282.) C'est donner là aux boucaniers et aux flibustiers de Saintomingue une bien peu glorieuse et bien récente origine.


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