Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

s'étonner de la joie qui salua l'écroulement de celte compagnie en 1720 et le retrait définitif de son privilège fait par l'État en 1724 à la Compagnie des Indes, qui lui avait succédé dans l'île1 ? Mais si ses pratiques commerciales, aussi bien que la protection accordée par elle aux Compagnies, ne doivent valoir décidément que des critiques à la monarchie, par quoi donc, au point de vue qui nous occupe, mériterat-elle nos éloges? Très franchement, je répondrai que ces éloges ne me semblent pouvoir mieux s'adresser qu'au dernier des trois principes dont s'inspira notre ancienne politique coloniale, je veux dire à sa méthode de peuplement, ou plus explicitement à la très réelle et mière année; ils n'entendent, pas la langue et il leur faut un temps pour se faire au climat et pour apprendre à manier la cognée ; ils tombent malades, il s'en estropie et il en meurt. 11 faut de plus nourrir l'habitant pauvre comme eux : on lui donne de la farine, du vin, des outils pour travailler, bas, souliers, etc.. pour lui et pour sa famille, s'il est marié, de la toile pour ses nègres, des remèdes en cas de maladie et généralement tout ce qui est utile pour le soutien de la vie et le défrichement de son habitation. 11 se passe quatre ans avant que ce pauvre habitant puisse entrer en payement sur ce qu'il doit, et au bout de ce temps, en remettant d'une main au magasin de la Compagnie les iruits qu'il a recueillis, il y prend de l'autre ses nouveaux besoins, et enfin il se passe douze à quinze ans avant que cet habitant se voie une sucrerie roulante avec 30 nègres, franc et quitte envers la Compagnie. Ce récit est à la lettre. Je parle ici d'un habitant sage, attentif et bon économe ; si, au contraire (comme il n'arrive que trop), c'est un ivrogne, un joueur et un négligent, que croit-on que deviennent les avances de la Compagnie ? » (A. M. C, Corr. gén., SaintDomingue, 2e série, carton II.) t. La concession retirés le 2 avril 1720 à la Compagnie de 1698 fut attribuée le 10 septembre suivant à la Compagnie des Indes (Voir l'arrêt du Conseil, du 10 septembre 1720, dans Moreau de Saint-Méry, Lois et constitutions...., t. Il, p. 692-696). Mais les troubles que cette nouvelle cession occasionna entraînèrent sa révocation en 1724, et depuis lors il ne fut plus question de compagnie à Saint-Domingue (Petit, Droit public des colonies françaises, 1771, t. I, p. 91 et suiv.). Beaucoup d'auteurs voient dans ce fait, avec raison, me semble-t-il, l'une des causes de la prospérité inouïe do Saint-Domingue.


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