Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

autorité très ferme un sens et comme un art tout particulier de manier les singuliers sujets qui étaient les leurs. « Lorsque quelque flibustier, raconte Le Pers, alloit trouver Du Casse pour lui demander de l'argent qu'il prétendoit lui être dû : « Je sais bien, coquin, « lui disoit-il, que, quand tu es en arrière de moi, « tu me traites de chien, de rouge et de voleur. Mais « je m'en moque. Si tu n'es pas content, prends mon « épée et enfonce-la-moi dans le corps ! Pour de l'ar« gent, je n'en ai point et tu n'en auras point1. » Ce mot peint mieux que de longs développements le système de gouvernement à la fois brutal et paternel adopté par les chefs primitifs de la colonie 2. partie de celle de sa famille, de sa sœur en particulier, mariée à Jacques Du Tertre-Pringuet, conseiller au présidial de Rennes, « qui jamais ne lui refusa son aide ». Cette œuvre, il la résume d'ailleurs admirablement, et non sans une légitime fierté, dans les Mémoires qu'il adresse à la Cour lors d'un de ses derniers voyages en France, en 1669. « Dans ces mémoires que je vous envoie, écrit-il à Colbert, en une lettre jointe, je n'affecte pas, Monseigneur, de faire connoître la conduite que j'ai gardée pour augmenter la colonie de la Tortue. Mais vous jugerez sans doute qu'il etoit difficile d'en garder une meilleure, puisque, sans avoir jamais rien pris, ni rien reçu de personne, je n'ai pas laissé d'assister tout le monde. J'ai presté aux capitaines, aux gens de guerre et aux habitans. J'ai esté au devant de tous les besoins qui pouvoient les réduire à passer dans la Jamaïque, dont l'habitation est plus avantageuse. J'ai même fait en sorte que plusieurs de nos François sont venus de la Jamaïque à la Tortue. Enfin j'ai eu à gouverner des gens farouches qui ne connaissoient point le joug et je les ai gouvernés avec tant de bonheur qu'ils n'ont tenté que deux petites séditions que j'ai étouffées dans leur commencement ». « Mais aussi, ajoute-t-il, j'ai employé cette année en la colonie plus de 80.000 livres au delà de ce que j'en ai retiré. J'ai encore mis plus de 2.000 escus en voyages de barques nécessaires, en gages et nourriture de prêtres, religieux, si bien que je suis dans une impuissance si grande que sans le secours de mes amis je n'aurois pas de quoi retourner en Amérique. — De Paris, ce samedi de Pasques, 1669. » 1. Le Pers, fol. 273. 2. Rude est d'ailleurs la tâche de ces premiers gouverneurs mal secondés, ou mieux pas secondés du tout. En 1681, M. de Pouancey,


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