Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

froid. Une partie de ceux qui purent échapper se vinrent plaindre à moi 1 ; mais, comme je n'estois pas en estat d'aller venger ceste injure et cruauté exercée à l'endroit de mes frères, je m'avisai d'insensiblement et avec honneur faire sortir de cette isle ledit Levasseur, comme estant de la religion prétendue réformée et, le principal de tout, lui faire acheter une petite barque qui se rencontra à propos dans nos rades, et luy donnai ordre, s'il ne pouvoit rien rencontrer en courant le bon bord, de s'aller establir en un islet, nommé l'islet Margot, auquel depuis il a donné le nom de Reffuge, proche de la Tortue d'environ cinq lieues, et de Santo-Domingo de demie, pour, de là, espier l'occasion d'attraper ce capitaine anglois, lequel ledit sieur Levasseur, après s'estre establi, alla visiter. Ils firent amitié, s'accordèrent que réciproquement les uns seroient bien venus chez les autres, et que particulièrement certains François, qui s'estoient réfugiés à la Tortue, seroient réputés et traités comme les mesmes Anglois. Cette bonne correspondance ne dura pas longtemps ; car, nonseulement, peu de jours après, il les désarmoit, mais les traitoit comme esclaves. Il traita aussi indignement, par plusieurs fois, les propriétaires et domestiques du sieur Levasseur, qui lui alloienl demander justice pour des torts qu'ils avoient reçu d'aucuns des habitans. Ce qui estant venu à la connoissance du sieur Levasseur, il lui auroit, par diverses fois, envoyé le prier de se départir de telles violences, qui contrevenoient à leur accord. Mais, au lieu de recevoir quelque responce civile, icelluy capitaine auroit dit à ceux que ledit Levasseur lui auroit députés qu'il ne le redoutoit point, quand il auroit 2 000 voire 3 000 hommes et qu'il ne se soucioit point de ses prières. Avant le départ dudit sieur Levasseur de ceste isle, j'avois recouvré une petite barque que j'expédiai pour aller en ces quartiers faire de la viande pour ma famille ; où estant arrivée, il me la fit dégrader, s'empara du canon, armes, munitions, de tout ce qui estoit dedans et lui pouvoit servir, sans qu'il m'en ait voulu faire aucune raison. De quoi me sentant offensé et sachant que ledit sieur Levasseur estoit aussi piqué de son costé, je lui mandai de considérer la mine de ce gouverneur et des habitans et que, s'il trouvoit jour de prendre vengeance de ce coquin et lui faire payer ma barque avec les intérêts, qu'il ne perdît pas de temps. Avec mon ordre, ledit sieur Levasseur se délibéra de chasser cet usurpateur, ou de mourir à la peine, et fit si bien sa partie qu'avec 49 hommes seulement, le dernier jour d'août, il fit des1. Ceci se passait après le mois de février 1639, date de l'arrivée de M. de Poincy à Saint-Christophe.


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