Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

une sensualité éveillée de bonne heure par les nudités vivantes qui les entourent, et une pureté prématurément souillée, bien souvent, par les spectacles sur lesquels s'ouvrent leurs yeux; un manque de sensibilité presque absolu et même une certaine cruauté native résultant de la façon dure et brutale dont ils voient traiter les esclaves; une grossièreté de langage et d'expressions due à la fréquentation d'hommes grossiers ; — et d'autre part, un orgueil, une vanité quelquefois insupportables, des instincts de domination qui répondent à l'habitude d'être servilement obéis par tout un peuple d'inférieurs. « Si sûre en effet que soit la négresse ou la mulâtresse qui sert de nourrice, de bonne à l'enfant blanc, elle ne saurait jamais prendre une supériorité, donner une direction, faire faire quelque chose, commander à l'enfant : elle est esclave. De là, à mesure que l'enfant perçoit des sensations et en reçoit des idées, une conscience de sa valeur, de sa puissance, de son autorité, de son droit, la certitude qu'il n'est au-dessous de personne et qu'il est égal à tout 1. » De cela les esprits perspicaces s'aperçurent bientôt. « Un habitant, qui réside toujours seul sur son habitation, écrit M. de la Chapelle, en 1737, et surtout les enfants, qui ne voient que des nègres, contractent une humeur sauvage et un esprit d'indépendance qui les empêchent de devenir propres à rien 2. » En fait, il est impossible de rêver enfants plus volontaires et plus capricieux que les jeunes créoles. Un trait est resté classique, celui de l'enfant qui demande un œuf, à qui 1. Frédéric Masson, Joséphine de Beauharnais, Paris, 1899, in-8°, p. 80. 2. Lettre de M. de la Chapelle, du Petit-Goave, 12 mars 1737 (A. M. C Corr. gén., Saint-Domingue, C*, vol. XLVi).


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