Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

Nombreux comme le sont les esclaves dans la colonie en comparaison de leurs maîtres, on pourrait croire que plus fréquents que cette forme très spéciale de vengeance par le suicide furent les soulèvements généraux à main armée. Pourtant, il ne semble pas, qu'avant la révolution, les nègres se soient jamais élevés d'euxmêmes à la conception d'une révolte universelle. En 1691, deux noirs, Janot Marin et Georges Dollot, dit Pierrot, sont bien condamnés à être brûlés vifs comme coupables d'avoir conçu le projet de « massacrer tous les blancs du quartier du Port-de-Paix, femmes et enfants jusqu'à la mamelle» ; mais on découvrit facilement dans le complot la main des autorités espagnoles1. En 1704, les nègres du quartier du Cap forment de même habitant anglais de Saint-Christophe, le major Cripps, sut plus habilement encore arrêter le cours de ces suicides. « Les nègres de cet officier indignement, vexés se pendoient journellement. Enfin l'oppression en vint à un tel degré que ceux qui vivoient encore complotèrent de se pendre tous le même jour. Le théâtre choisi pour cette épouvantable tragédie fut un bois voisin. Le major en fut averti ; il alloit être ruiné... 11 fit alors charger sur des chariots les ustensiles de sa fabrique de sucre, et, suivi de ce convoi, il se rendit au lieu du fatal rendez-vous. Déjà les cordes étoient attachées aux arbres et les nègres alloient s'en servir. « Ne craignez point, leur dit-il, vous retournerez en Afrique, je vais vous y accompagner, je viens me pendre avec vous. J'ai acquis là-bas une habitation, je veux y établir une sucrerie. Mes ordres sont donnés ; on a rattrapé ceux de vos camarades qui se sont pendus, et déjà ils y travaillent les fers aux pieds. Vous y travaillerez de même ; mais, comme là vous ne pourrez plus m'échapper, plus de repos ni le jour, ni la nuit, ni le dimanche. Voilà à quoi vous devez vous attendre. Pendez-vous donc; voilà ma corde, je vais vous imiter. » Les malheureux nègres effrayés n'osèrent pousser plus loin l'aventure, ils s'abandonnèrent à leur bourreau qui, sans alarmes et sans remords, les persécuta tout à son aise. » ([J. de la Vallée], Le nègre comme il y a peu de blancs, Paris, 1789, t. II, p. 296-297). Cf. Labat, Op. cit., t. I. p. 447-449. 1. Jugement du Conseil de guerre contre deux nègres et un engagé blanc, auteurs et chefs d'une conspiration, du 11 novembre 1691 (Moreau de Saint-Méry, Lois et constitutions...., t. I, p. 500-502).


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