Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

Page 254

214

SAINT-DOMINGUE

Ces mœurs, que font du reste les maîtres pour les améliorer, que ne font-ils pas plutôt pour les rendre pires, ne favorisant pas les mariages, mais au contraire ne protégeant que les concubinages, en vue de pouvoir séparer sans difficulté, à l'occasion, les membres d'une même famille, ou plutôt les habitants d'une même case, véritable encouragement des noirs à la débauche et à cette stérilité qui est bien peut-être le grief le plus terrible que l'on puisse faire valoir contre l'esclavage. Quant à la moralisation des nègres par l'exemple de leurs maîtres, y insister serait une dérision. L'on a déjà vu, par tant de détails donnés précédemment, quel dévergondage inouï règne sur les habitations. Dès 1713 : « La tolérance de nos prédécesseurs, écrivent les administrateurs de Saint-Domingue, la tolérance de nos prédécesseurs et du Conseil supérieur a causé une infâme habitations n'en ont aucun. Les premiers peuvent quelquefois assister au service ; les autres n'y assistent jamais. Il n'y a, du reste, point de proportion entre le nombre des prêtres ou la grandeur des églises et la grande quantité des esclaves de chaque quartier... Quelques habitans de la partie du Nord avoient bien, en 1715, établi des chapelles sur leurs habitations pour les exercices de la religion par leurs esclaves. Mais les maîtres en abusèrent ; lus paroisses ne furent plus fréquentées, et un ordre du Roi, du 26 août 1716, défendit ces chapelles... L'obligation subsiste sans doute pour les maîtres chrétiens de faire instruire leurs esclaves dans la religion et de leur en faire pratiquer les actes. Mais cette obligation est, on peut le dire, négligée par tout le monde, sans exception. » (Petit, Du gouvernement des esclaves, t. II, p. 115-117) passim.) « Le mariage devant l'Église, écrit d'autre part Girod-Chantrans, est extrêmement rare parmi les noirs. C'est qu'ils ne feroient ainsi qu'ajouter une chaîne de plus à celles qui les accablent, et le mariage accroîtroit leur mal-aise par une famille plus ou moins nombreuse... D'un moment à l'autre, d'ailleurs, le maître peut vendre le père, la mère ou l'enfant, chacun séparément... » ([Girod-Chantrans], Voyage d'un Suisse... p. 145, 148.) — Et plus loin : « Qu'un nègre de place mourant demande à se confesser, rien n'est plus rare. Rien au contraire de plus commun qu'un nègre qui a passé toute sa vie dans une habitation sans messes, sans confession, et qui meurt sans voir de prêtre. » (Ibid., p. 200.)


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.