Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

La toute-puissance du maître se trouvait ainsi limitée, mais en droit, il faut le dire, beaucoup plus qu'en fait, car pendant un siècle ces dispositions du Code noir restèrent le plus souvent lettre morte. Les maîtres continuent à punir eux-mêmes leurs esclaves, non pas seulement pour leurs écarts de conduite dans leurs tâches quotidiennes, mais pour tous crimes et délits. Cela est plus expéditif d'abord, et dans les plantations écartées, éloignées do 10 à 20 lieues des sièges de juridiction, cette considération est bien à peser. En second lieu, le châtiment, infligé sous les yeux des noirs, les frappe davantage. Très souvent, d'ailleurs, tout en ayant la conviction morale de la culpabilité de l'esclave, le maître n'en a pas les preuves juridiques et il craint de ne pouvoir obtenir de condamnation devant les tribunaux1. riblemcnt battus par leurs propriétaires. De ce fait Galliffet concluait : « Tous les règlements, que l'on pourra faire sur la nourriture, le vêtement et le traitement qui doit être fait aux esclaves, seront toujours inutiles, s'ils n'ont pas la liberté de se plaindre, et ils ne l'auront jamais s'ils sont réduits à retourner à leurs maîtres. Il me parait donc juste et nécessaire d'ordonner que, lorsqu'un nègre esclave se plaindra avec fondement, il soit vendu aux enchères publiques et le produit remis à son maître, lorsqu'il n'y aura pas lieu à confiscation. » (Lettre de Galliffet, de Léogane, du 20 avril 1702, aux A. M. G.. F3167.) 1. Petit, dans son Gouvernement des esclaves, reconnaît par exemple que, pour les crimes d'empoisonnement commis sur les habitations par les esclaves, on est bien obligé de fermer les yeux sur les agissements des maîtres. D'après la loi, de telles affaires doivent être portées en première instance devant les juges ordinaires et en appel devant les Conseils souverains. Toutefois, la plupart du temps, en ces affaires, déclare Petit, les maîtres n'ont pas de preuves, mais seulement « des indices, des présomptions fondés sur la différence de conduite des accusés à certaines époques, sur certains discours, sur des liaisons suspectes, sur des écarts des usages de l'habitation dans un temps ou dans un autre ». Or, devant les tribunaux, tout cela ne peut amener une condamnation qui apparaît pourtant comme légitime aux maîtres, et comme « important à la sécurité de leur vie ». Si donc on refuse en ces affaires toute latitude aux chefs d'habitations, il faut modifier la procédure. « La loi pourroit ordonner alors que les plaintes des crimes portées devant


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