Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

par lots d'hommes, de femmes, d'enfants, de jeunes et de vieux, de robustes et de malingres pour faire passer les médiocres ou les mauvais, et ainsi s'établit une sorte de prix moyen. Après un minutieux examen médical, qui donne lieu aux scènes répugnantes que l'on suppose 1, et à d'interminables discussions, — car le manque d'une seule dent, une tache dans l'oeil, la perte d'un doigt rendent un esclave défectueux, comme esclave de première qualité, — le marché se conclut entre courtiers et négriers, ceux-ci embarquant alors aussitôt leur marchandise, ceux-là tuant bien souvent les noirs qui leur ont été refusés et dont ils ne peuvent plus espérer aucun profil. Les captifs, qui passent des trunks dans l'entrepont des navires, changent de lieu sans changer de douleur. On sépare les hommes des femmes ; mais, à part cela, ils sont traités comme des animaux. Entièrement nus, ils 1. Scènes qui se renouvellent à l'arrivée du transport dans la colonie. «... J'eus à bord de ce négrier mouillé dans la rade du Cap, écrit un voyageur, un spectacle qui peint l'étrange corruption des mœurs de l'Amérique. Une femme, qu'on me dit se nommer la S [agonal, et sur laquelle on me raconta beaucoup d'aventures qui l'avoient enrichie au lieu de lui attirer une punition exemplaire, y étoit venue choisir des nègres et les visitoit elle-même. Il n'est guère possible de pousser plus loin l'effronterie, car l'état où sont ces misérables révoltoroit les femmes d'Europe les moins susceptibles de pudeur; ils sont précisément tels que la nature les a mis au jour, et on les considère depuis la tête jusqu'aux pieds, pour savoir s'ils n'ont point quelque incommodité. Cette femme sans mœurs sembloit même y apporter plus d'attention que les hommes, et je fus indigné de la curiosité qu'elle affectoit. » ([Nougaret], Voyages intéressans dans différentes colonies, Voyage du Comte de C*" au Cap-Français, Paris 1788, p. 85.) Un auteur nous signale la curieuse habitude de certains trafiquants d'esclaves, qui «lèchent le menton des nègres qu'ils marchandent pour découvrir, au goût de la sueur, s'ils ne sont pas malades, et s'assurer si le poil du menton n'est pas d'une force à indiquer un âge plus avancé que la déclaration. » (Chambon, Du commerce de l'Amérique par Marseille, 2 vol., in-4°, 1764, t. II. p. 400-401).


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