Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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MONDE

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I On prétend que Louis XIII ne consentit à autoriser l'esclavage dans les colonies françaises naissantes qu'après avoir été persuadé que rien ne pouvait mieux hâter la propagation du christianisme chez les idolâtres. Avec Louis XIV et Colbert, ces scrupules n'existent plus ou sont pleinement rassurés. La traite fonctionne régulièrement, soumise seulement aux mêmes restrictions que le reste du commerce, c'est-à-dire s'exerçant au profit exclusif de la métropole 1. D'abord concédé à que les mœurs sanguinaires des nations de cette partie du monde ont déjà invariablement destiné à la mort, lorsqu'un marchand européen guidé par ses spéculations, mais non moins l'instrument du protecteur des malheureux que l'esclave de sa cupidité, vient armer l'intérêt de ce vainqueur farouche contre son inhumanité, porter à son captif le seul secours qui lui puisse sauver la vie et convertir pour lui la nécessité de mourir en l'obligation d'aller labourer le sol d'une île de l'Amérique : or quel est le phraseur qui pourroit persuader à cet infortuné qu'il vaut mieux se laisser égorger que de remplir sa nouvelle destination. Cessez Pour un instant de ne voir que ce que le sort de cet homme a d'affreux, portez vos regards d'un autre côté et cherchez dans le sein de ses parents désolés qui ne le reverront jamais, qui le savent dévoué à la cruauté de son vainqueur, quel peut-être le vœu de leur cœur. Ne bénissent-ils Pas sans doute la main secourable qui pourra l'arracher à la mort, en lui faisant une loi de servir un maître dont l'intérêt lui prescrit le soin de son existence ? Que l'on y réfléchisse bien et l'on sera convaincu, malgré la nouveauté de cette opinion, que le premier marchand qui s'avisa d'aller troquer, en Afrique, de la quincaillerie pour des hommes rendit sans s'en douter un grand service à l'humanité et arracha sans doute à la mort plus de victimes que la cupidité européenne ne lui en a dévouées dans le continent de l'Amérique. » [Op. cit., p. 46.) 1. Dès le commencement du XVIe siècle il y eut des esclaves dans s établissements espagnols aux Antilles (Georges Scelle, Histoire de la traite négrière, Paris, 2 vol. in-8°, 1906, t. I. p. 122, 125-126, 131), et dès le début de notre colonisation aux Iles, nos colons y possédèrent des noirs. « Mais c'étaient des esclaves empruntés aux colonies voisines, et une correspondance régulière entre nos Antilles et la côte

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