Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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tent ces messieurs, est que la faveur des plaideurs va à ces tribunaux extraordinaires. Mais, au fait, cette préférence n'a rien qui puisse étonner et s'explique aisément par deux raisons : la première, c'est que les habitants trouvent ainsi un moyen d'abréger les longueurs de la procédure que rendent ailleurs interminables la passion ou la mauvaise foi des juges1; la seconde, c'est que seuls en réalité les verdicts militaires portent sûrement avec eux leur sanction. La force armée étant entre leurs mains, la maréchaussée ne marchant, comme je le remarquais plus haut, que sur leur réquisition, les juges militaires peuvent en effet rendre illusoires les décisions des magistrats civils, en paralyser indéfiniment l'exécution -, tandis qu'au contraire « ils n'oublient jamais de joindre à leurs sentences la contrainte par corps », ou « de rendre exécutoires leurs jugemens sous la peine du cachot3 » ! En 1735 encore, ne vont-ils pas jusqu'à 1. « Le négociant et l'habitant riche, écrit Clugny lui-même, se plaignent rarement de ces voies irrégulières, parce que, bien loin d'en être la victime, ce sont eux qui y ont recours et qui y rencontrent toujours un moyen d'abréger les longueurs de la procédure ordinaire. » (Lettre do M. de Clugny, du Port-au-Prince, 15 juillet 1761. Ibid., vol. CVIII.) 2. Des archers de la maréchaussée de Léogane, requis par le prévôt de prêter main-forte pour exécuter une ordonnance de l'intendant contre un habitant, refusent ainsi de marcher, disant que les officiers de milice leur ont défendu, sous peine de les faire pourrir à la barre, d'obéir a leur prévôt avant que celui-ci ait pris les ordres des officiers (Lettre deM. Maillart, intendant, 24 août 1740. Ibid., vol. LXV). M. de la Chapelle, intendant, rapporte que le marquis de Fayet, gouverneur, « a coutume de dire à ceux qui s'adressent à lui pour avoir exécution de jugements : « Vous vous êtes pourvu en justice. Eh bien! allez dire au « juge qu'il vous fasse payer! » (Lettre de M. de la Chapelle, 28 juillet 1737. Ibid., vol. XLV1.) 3. Lettre de M. de Clugny, intendant, du Cap, 25 décembre 1760 (Ibid-, vol. CVII). L'année suivante, le même M. de Clugny constate que « les commandants militaires se sont arrogé le droit de rendre contre les


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