Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

qui depuis deux ans n'a pas quitté son habitation, M. d'Argout, commandant en chef la partie sud de SaintDomingue, croit devoir enjoindre à ses subordonnés de faire au moins de fréquentes apparitions, sinon de longs séjours, dans les villes et les bourgs, centres de leur autorité 1.. Je disais tout à l'heure que l'émigration de la noblesse française aux colonies pouvait s'expliquer par la possibilité qu'elle offrit à cette noblesse de rester fidèle à la vie des ancêtres et pour ainsi dire de se survivre à ellemême par delà les mers. Ne voit-on pas déjà dans le fait de ces officiers, s'absorbant dans l'exploitation de leurs plantations, se rattachant instinctivement à la terre, comme un prolongement de l'existence traditionnelle des gentilshommes de France, que les circonstances ont désormais rendue impossible dans la mère patrie? Vivre du sol et sur le sol, telle avait été la coutume qui, pendant de longs siècles, avait fait la force de l'aristocratie et qu'avait interrompue le mouvement social, politique, économique, que j'ai retracé ailleurs. Transplantés en un monde où ne s'est point encore fait sentir la répercussion de ce mouvement, on voit les gentilshommes revenir spontanément aux habitudes primitives des ancêtres ; comme eux, ils redeviennent terriens et ruraux, et comme eux, — la chose est à noter par contre-partie, — ils se laissent peu séduire par le séjour des villes. Assez vite, en effet, on voit naître, à SaintDomingue, entre la population des cités et des bourgs et les planteurs vivant sur leurs « places », la même 1. Lettre de M. Robert d'Argout, major des troupes de la partie du sud, de Saint-Louis. 14 décembre 1767 (Ibid., vol. CVIII).


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