Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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ORIGINES DE

LA COLONISATION

ET PREMIERS

COLONS

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tent, en général, la plus grande répugnance à sévir 1. Aussi préfere-t-on encore exiger simplement des coupables restitution partielle ou totale de leurs rapines. Le sieur Desportes, receveur de l'octroi du Cap, qui a détourné près de 200.000 livres, est ainsi condamné à amortir chaque année, au moyen des revenus de son habitation, la dette qu'il a contractée vis-à-vis du Tré1. Une lettre de l'intendant Barbé de Marbois nous explique sans détours pourquoi. Le receveur général des droits municipaux du ressort du Port-au-Prince ayant, en 1785, rendu ses comptes de 1782, avec trois ans de retard, « cela m'a donné, écrit Barbé-Marbois, quelques inquiétudes. J'ai donc, continue-t-il, proposé au doyen du Conseil, qui est l'inspecteur de cette caisse, d'en faire l'inspection. Ce magistrat... m'a observé que cette inspection, quoique de droit, n'avoit jamais eu lieu, qu'elle auroit quelque chose d'odieux s'il s'y portoit de son propre mouvement; il a lui-même demandé qu'il lui fût enjoint par un arrêté de la Cour d'y procéder. L'affaire mise en délibération, j'ai été surpris de ne trouver que le commandant général et un seul conseiller de mon avis sur une question aussi simple. Tous étoient d'avis que l'inspection étoit de droit et seroit très utile, mais l'on proposa d'en fixer le jour, ce qui équivaudrait, selon moi, à un avertissement au receveur de se tenir en règle pour ce jour-là. La plupart des autres conseillers observèrent que l'injonction d'inspecter étoit superflue, puisque l'inspecteur en avoit le droit. Quelques-uns prétendoient que ce seroit lui faire une injure et que ce seroit môme offenser le comptable par un soupçon peut-être injuste. C'est ainsi que, par des motifs qui ne sont même pas spécieux, le Conseil se refuse à enjoindre au doyen de faire son inspection, taudis que celui-ci refuse de la faire si on ne le lui enjoint. De la sorte, l'inspection n'aura pas lieu... Et la chaleur avec laquelle cette affaire a été débattue par quelques membres du Conseil m' a, je l'avouerai, donné quelques soupçons qu'ils sont débiteurs de la caisse municipale et qu'ils craignent qu'à l'inspection on n'y trouve leurs bons pour partie d'environ 400.000 livres que le receveur doit avoir, d'après les aperçus que je me suis procurés... » (Lettre de M. Barbé de Marbois, intendant, du Port-au-Prince, le 27 novembre 178 5. Ibid., vol. CLVI.) On lit de même dans l'Etal des finances de Saint-Domingue, publié en 79 0 : « Un comptable, qui, portant une main coupable dans sa caisse, a osé y puiser à son profit, se considère bientôt comme le possesseur lé gitime de son larcin ; il oublie qu'il n'a rien à prétendre sur les fonds qu'il a ainsi détournés, il se défend, il combat pour les garder comme sil a ' dministration n'avoit pas le droit le plus absolu de les retirer de ses mains. Il a profité de ses détournements pour acheter des maisons, les es claves, des habitations ; il s'est tellement identifié avec ce qu'il a


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