Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

balayées, c'est-à-dire qu'il y avoit un demi-pied de poussière quand le temps étoit sec et autant de boue quand il pleuvoit... Les habitans étoient du reste dans l'église comme à quelque assemblée, ou spectacle profane ; ils s'entretenoient ensemble, rioient et badinoient, surtout ceux qui étoient appuyés sur la balustrade qui régnoit autour de l'église, parloient plus haut que moi et mêloient le nom de Dieu dans leurs discours d'une façon que je ne pus souffrir 1. » Les ministres du culte, il est vrai, ne sont pas toujours d'un zèle aussi apostolique que le P. Labat. En 1681, « la plupart des prêtres actuellement dans l'Ile sont aussi débauchés que les autres, le plus grand nombre estant des apostats sortis de leur couvent par libertinage2 ». 1. Labat, Nouveau voyage aux Iles, éd. de 1742, t. VII, p. 125, 130. — « L'église de la Petite-Rivière, écrit encore le P. Labat, étoit de même de fourches en terre couvertes de têtes de canne, palissadée jusqu'aux deux tiers de sa longueur de palmistes refendus. Le reste étoit tout ouvert et par conséquent sans portes, ni fenêtres. Une clôture de palmistes faisoit une séparation qui appuyoit l'autel, derrière lequel étoit une espèce de petite chambre sans portes, ni fenêtres qui tenoit lieu de sacristie. Nous y entrâmes et ne trouvâmes autre chose qu'une méchante table et un mauvais coffre de bord, c'est-à-dire un de coffres que les matelots portent dans les vaisseaux, plus large au fond qu'au-dessus et qui étoit couvert d'un morceau de toile goudronnée. La clef de ce coffre étoit attachée avec une aiguillette d'écorce à un poteau. Nous l'ouvrîmes et nous y trouvâmes les ornements de l'église qui pouvoient disputer le pas à tous les plus sales, les plus déchirés, les plus indignement traités qui fussent au monde. La parure de l'autel consistoit en trois ou quatre couvertures, ci-devant de toile peinte, moitié arrachées, moitié pendantes qui ne servoient à empêcher le vent que lorsqu'il n'étoit guère fort. Une image de papier étoit attachée au milieu à peu près de cette tenture et quatre chandeliers d'étain, petits, sales, et dépareillés, étoient des deux côtés d'une petite armoire qui occupoit le milieu de l'autel et qui servoit de tabernacle, au-dessus duquel il y avoit un petit crucifix de laiton tout disloqué. » (Labat, Op. cit., t. VII, p. 158-159). 2. « Mémoire des officiers du Conseil joints avec les principaux habitants », 1681 (A. M. C, Corr. gén., Saint-Domingue, vol. I).


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