Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

Beaucoup de querelles se vident, du reste, ailleurs qu'en justice, et l'on ne compte pas les scènes violentes qui éclatent à tout instant entre créanciers et débiteurs. Pour une question d'intérêt assez minime en vérité, Mme de Graff, veuve du célèbre corsaire 1, accoste ainsi débiteurs trouvent dans le dédale de la chicane introduite dans cette colonie pour sa ruine des moyens infaillibles de se soustraire à la loi. 11 n'y a que ceux contre qui les créanciers ont obtenu des condamnations par corps, que le gouvernement a des moyens de contraindre à payer, en les faisant mettre en prison, quand ils ne payent pas. Il faut autrement des procédures éternelles pour condamner les débiteurs et, l'arrêt rendu, il n'y a encore rien de fait puisque la saisie réelle n'a pas lieu. Ceux qui devroient donner l'exemple sont ceux qu'il est le plus difficile de faire payer. MM. Saint-Martin, doyen du Conseil, Ruotte et Léger, conseillers, doivent à M. de Laborde et ne payent point; leur état de magistrats devient la sauvegarde de leur mauvaise foi. » (A. M. C., Corr. gén., Saint-Domingue, vol. CL1II, lettre de M. Bellecombe, du Cap, 8 juin 1783). — « Les dettes, écrit un peu plus tard M. de la Luzerne, les dettes sont garanties généralement par les biens immobiliers de l'emprunteur, ses meubles, sa personne. Nulle ressource pour le créancier à Saint-Domingue sur l'immeuble dénommé habitation. La saisie réelle paraît permise par les lois ; on n'en use cependant jamais, ou elle est au moins infiniment rare, d'où on peut conclure qu'il est très difficile de la provoquer. La location est une manière de jouir peu usitée dans cette partie du monde ; il n'est donc pas fréquent qu'on puisse saisir les revenus d'une habitation entre les mains du fermier. Qu'importe, m'objectera-t-on, n'est-il pas loisible de même de faire tomber la saisie sur le mobilier du bien exploité par le propriétaire ou son fondé de procuration? Les informations que j'ai prises me prouvent que ce moyen simple en apparence devient illusoire dans la colonie : tout est soustrait ou classé parmi les immeubles, le créancier poursuivant en est pour ses frais. Il ne peut non plus contraindre dans l'île la personne de son débiteur pour aucune dette civile do quelque nature qu'elle soit. Les lettres de change, les billets à ordre ne lui donnent pas même ce privilège. Une seule exception a été faite pour le prix des denrées vendues parles armateurs. » (« Réflexions sur la multitude des demandes qui m'ont été faites par les créanciers à l'effet d'être payés par leurs débiteurs, propriétaires d'habitations à SaintDomingue », par M. de la Luzerne, 1785, aux A. M. C, Corr. gén., 2» série, carton XXXV). 1. « Laurens-Cornille Baldran, sieur de Graff, escuyer, lieutenant de roy en l'isle de Saint-Domingue, capitaine de frégate légère, chevalier de Saint-Louis » (ainsi est-il qualifié dans les pièces ofiicielles), est resté illustre dans les annales de la flibuste. Originaire, dit-on, des Pays-Bas, il avait épousé en premières noces, à Ténériffe, en 1674, une


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