Saint-Domingue : ( 1629-1789 ), la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime

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SAINT-DOMINGUE

cette population, laisse facilement supposer les mille différends qui surgissent journellement entre ses membres. En fait, il est peu de pays d un plus mauvais esprit et plus processif. Neuf fois sur dix, ce sont des questions d'argent qui divisent les habitants : car, chose curieuse, en ce pays où l'existence nous apparaît si facile, la question d'argent semble plus irritante que partout ailleurs. C'est que, tout en vivant largement, ces colons souffrent d'un mal cruel et singulier : le manque d'argent. « La plupart des habitans, écrit M. de Sorel, sont toujours sans argent, quoiqu'ils fassent des revenus considérables 1. » Nous savons déjà la cause de cette apparente contradiction. Il faut la faire remonter à la politique commerciale du gouvernement et au principe maintenu par lui qu'aux Iles tout négoce doit s'opérer par échange. « Dès l'établissement des colonies, marquent MM. de Larnage et Maillart, en 1745, le commerce de l'Amérique n'a été qu'un troc respectif des denrées du pays contre les marchandises d'Europe, dans lequel il n'a jamais dû être question d'argent, puisqu'il ne s'en fait pas dans le pays et que celui d'Espagne, qui est le seul qui y paroisse, n'y vient que par accident2. » Cette lettre de Larnage fait allusion aux réclamations des négociants exigeant leur paiement en numéraire et aux fins de non-recevoir des habitants. Fins de non-recevoir que ceux-ci opposent d'ailleurs à leurs créanciers, négociants ou autres, avec le plus beau 1. Lettre de MM. de Sorel et Mithon, Léogane, 28 mars 1720 (Ibid., vol. XVII). 2. Lettre de MM. de Larnage et Maillart, du Petit-Goave, 21 avril 1745 (Ibid., vol. LXVI).


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