Vieux papiers du temps des isles. Deuxième série

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VIEUX PAPIERS

DU TEMPS

DES ISLES

teindre, laissant à gauche les grèves désertes du Pouliguen, les rochers du bourg de Batz et les fortins du Croisic. La houle secoua bientôt le navire, dont les quarante mathurins de l'équipage carguaient huniers, ris et cacatois, petits et grands. Les passagers furent favorisés par les vents, l'époque étant, à ce moment de l'année, la meilleure pour une bonne traversée ; on jouait sur le pont aux jeux de société et on y devisait en faisant les cent pas. D'aucuns narraient des récits de voyages dont les corsaires et leurs abordages fournissaient un aliment toujours nouveau, mais la vue des douze bonnes pièces, arrimées solidement et la gueule sombre dépassant les plats-bords, rassuraient les craintifs. On navigua ainsi jusqu'au 20 octobre. On avait alors laissé, il y avait plusieurs semaines, les Canaries en arrière et vogué déjà à travers les longues herbes marines de la mer des Sargasses. Au matin, la vigie avait lancé du haut de son tonneau, haut perché sur le grand mât, le classique « Terre ! Terre ! à bâbord ». Et tous de se précipiter sur le pont, se passant les longues-vues pour voir surgir de l'Océan bleu les cimes des mornes qui entourent de leurs masses la ville du Cap. Sur la dunette, le capitaine JoudusyDubois se félicitait avec son second de l'heureuse traversée, lorsque la vigie héla dans son porte-voix : « Ohé ! Navires en vue sur tribord ! » Les mers antillaises n'étaient guère sûres en ces temps et, à la nouvelle descendue du grand mât, Joudusy-Dubois fronça le sourcil. Deux voiles se détachaient sur l'horizon. A la lunette, le capitaine reconnut vite deux flibots couverts de toute leur voilure qui marchaient, rapides, à la rencontre du SaintMichel. Il eût préféré, certes, une belle frégate du roi, un galion espagnol ou une flûte hollandaise.


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