Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE DU VÉNÉZUÉLA

un arsenal d'institutions moyenâgeuses. « Des contrastes extrêmes dans la distribution de la propriété divisaient toute la société ; un despotisme à demioriental tenait les classes élevées attachées aux institutions monarchiques par tous les liens de la force, de la vanité et de l'égoïsme. Ces mêmes liens enchaînaient aussi bien les gentilshommes séculiers à qui les créoles les plus orgueilleux avaient coutume de baiser les pieds, que la noblesse cléricale devant laquelle les gentilshommes à leur tour rampaient dans la poussière, ainsi que la grande masse des Espagnols et de leurs partisans qui, unis étroitement et par mille liens divers à la société américaine, minaient la cause nationale et patriotique, même quand ils étaient poursuivis et en faute 1. » Séparés du monde, enfermés dans d'immenses cordillères, « en sinistre tête-à-tête avec l'ignorance et la superstition, comment, écrivait plus tard un homme d'Etat sud-américain2, pouvions-nous passer subitement de l'abjection à la liberté, comprendre, en un instant, nos intérêts, et deviner l'art difficile du gouvernement ? » Miranda fut le premier à percevoir ces différences essentielles, à prendre conscience aussi des obligations et de la tactique qui, dès lors, s'imposaient aux Proceres. Insoucieux d'encourir une fois de plus l'animadversion de ses compatriotes, il dénonça le danger auquel l'application des théories dont il avait été, jusqu'à ce jour, le partisan notoire et convaincu, allait exposer le Sud-Amérique : « L'organisation fédéraliste, déclara-t-il à la tribune du Congrès, ne présente aucune des garanties de clarté et de simplicité nécessaires à une institution durable en ces pays. Elle ne tient pas assez compte des mœurs et des usages que les habitudes séculaires de soumission y ont introduites et, pour ainsi dire, enracinées. Loin de grouper les Américains en un corps social homogène, elle ne servira qu'à les diviser encore pour le malheur du salut 1. GERVINUS,

op. cit, t. VI, p. 140. Estudios historicos, Bogota 1878.

2. CARLOS HOLGUIN,

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