Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LE PRÉCURSEUR

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tion de Miranda comme « générai en chef des armées nationales » ; l'animosité dont l'instinctive xénophobie des Vénézuéliens avait très vite entouré le Précurseur, s'était, depuis, aggravée de tous les dédains que celui-ci leur opposait. Miranda n'avait voulu dissimuler ni ses déceptions, ni son amertume. Il avait accepté, rempli avec la conviction la plus fervente, le rôle secondaire qu'on lui avait assigné, mais le ressentiment secret qu'il éprouvait à s'y voir réduit s'était trop souvent exhalé en allusions méprisantes, en pro pos blessants pour l'amour-propre des créoles. Il ne leur cachait pas combien leurs querelles lui paraissaient mesquines et leurs scrupules saugrenus. La bigoterie, le fanatisme des classes populaires l'exaspéraient. Cette résignation sereine qu'il s'était durant tant d'années imposée comme un premier devoir, l'abandonnait à présent au moindre prétexte. Il affectait un ton cassant vis-à-vis de ses jeunes compagnons. Appelé enfin au rang le plus élevé qui se pût ambitionner dans l'état actuel du pays, le vieux général, loin de se montrer sensible à la déférence, si tardive fût-elle, qu'on lui témoignait, redoubla de critiques acerbes sur le manque de tenue, l'indiscipline des troupes, l'incompétence des officiers. Dès l'entrée en campagne, Bolivar s'était empressé de demander du service et sollicitait le commandement d'un régiment. Miranda s'y refusa, alléguant le manque d'expérience du jeune colonel de milices « dont les titres, déclara-t-il, ne justifiaient point les prétentions ». Bolivar, indigné, exigea d'être entendu par un conseil de guerre et fit intervenir le marquis del Toro, son parent, pour amener le pouvoir exécutif à révoquer l'arrêt du général1. Ce dernier, sur ces entrefaites, consentit à ce que Toro prît Bolivar comme aide de camp. La querelle s'apaisa, mais elle indisposa toute l'aristocratie créole contre Miranda. Bienveillant en dépit de ses impulsions altières, il exagérait à dessein les sévérités et les rudesses qu'il croyait utiles à l'ap. 1.

V. LARRAZABAL,

op. cit., t. [, ch.

VI.


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