Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE DU VÉNÉZUÉLA

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Miranda se le demandait sans doute, repassant en mémoire les avanies que les parents de ces jeunes hommes, un peu contraints en leur respect d'aujourd'hui, avaient infligé jadis à sa jeunesse. Espagnol, peut-être encore retrouvait-il, en cette atmosphère oubliée, quelque chose de l'arrogance de race à l'égard du créole, du mépris instinctif pour le mulâtre et l'indien. Les haines originelles, les errements, les incompréhensions réciproques, toute la somme des fatalités qui pesaient sur ces ilotes de l'Indépendance américaine étaient en essence en chacun des pèlerins de la caravane qu'une dernière montée amenait, au crépuscule, aux portes de Caracas1. Dès l'arrivée dans la maison de Bolivar où l'attendait une hospitalité déjà moins fraternelle, et quand les Proceres, après l'avoir exactement instruit de la situation générale, l'eurent laissé à ses réflexions, l'amertume d'une déconvenue irrémédiable envahit profondément le Précurseur. Il se pourrait, ainsi que le prétend l'un des plus récents historiens du Vénézuéla 2, que, sur le navire qui l'emportait enfin vers le Nouveau Monde, Miranda se fût confusément bercé de l'espoir d'y trouver à son tour les destinées sublimes du grand Empereur vers qui convergeaient alors les regards des hommes. Il pensait peut-être que le diadème de l'Inca siérait aussi bien à sa tête que la couronne de Charlemagne à celle de l'ancien général à l'armée d'Italie. La déception de Miranda dut être, en ce cas, cruelle. Le pays lui était apparu misérable : des hameaux espacés, de médiocres bourgades, une capitale qui donnait tout au plus l'impression d'un gros village; le peuple fanatique et borné, les hautes classes hostiles, une société aux coutumes encore patriarcales que les « lumières » semblaient n'éclairer qu'en surface ; l'armée, de pauvres gens pieds nus, loqueteux, le bras en écharpe, la tête bandée, couverte d'un méchant cha1. W. 0. 1/106. Rapports du brigadier général Layard au comte de Liverpool, décembre 1810, et BECERRA, II, ch. XIV et XVIII, etc. 2. GIL FORTOUL, op. cit., t. I, p. 102.


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