Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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En tout leur optimisme, les Proceres, à défaut de pressentiment certain, semblent du reste avoir eu, d'un tel avenir, la presque immédiate inquiétude. Cet optimisme, qui, pour quelques-uns d'entre les patriotes, n'avait, à vrai dire, jamais été que de parade, n'aveugla pas les autres au point de leur faire négliger les précautions indispensables à la sécurité des nouvelles institutions. Alors môme qu'à l'horizon aucun nuage n'apparaissait encore, c'est d'un véritable arsenal de déclarations justificatives, de décrets et d'ordonnances que cherchent à s'entourer les Juntes coloniales. Aussi bien y étaient-elles déjà contraintes par les inévitables menaces devant résulter du programme subversif qu'elles avaient été amenées à proclamer. Se refuser, dès le principe, à reconnaître la Régence de Cadix, ouvrir les ports au commerce de toutes les nations, abroger toute une catégorie d'impôts ou en modifier le système, annoncer l'abolition prochaine de l'esclavage, dissoudre ou décimer les Audiencias, convier enfin les provinces à envoyer leurs députés à des Assemblées Constituantes, ainsi que l'avaient fait ou prétendaient le faire Caracas, Buenos-Ayres, Santiago et Santa-Fé, c'était à la fois s'aliéner à tout jamais le parti espagnol, ruiné dans ses privilèges, et porter aux coutumes d'un peuple, encore plongé dans l'asservissement séculaire, une atteinte par trop éclatante. Les masses paysannes étaient, ou peu s'en faut, partout à peu près indifférentes aux récents événements. Les Proceres savaient aussi combien le concours obtenu des classes inférieures dans les villes demeurait mouvant, illusoire et dangereux. Ils voyaient ces plèbes vibrantes, grisées par la soudaine révélation de leur puissance, prêtes à porter en triomphe et, dans le même instant, à massacrer leurs tyrans ou leurs affranchisseurs qu'elles distinguaient imparfaitement les uns des autres. C'est presque par surprise à Quito, à Caracas, aussi bien qu'à Santa-Fé et Santiago, que les patriotes avaient pu souffler au peuple son rôle. Et même à Buenos-Ayres, où l'initiation patriotique avait le plus de motifs de s'être généralisée, on n'osait pas évaluer à 20


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