Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

Page 255

LA GUERRE A MORT

557

encore faut-il reconnaître en elle la flamme, effroyable sans doute mais efficace, où se forgea le glaive de la victoire définitive. Dans le sang, dans les larmes, à travers les terribles épreuves qu'elle traversait, l'idée de patrie, vagissante et fragile, s'est affermie. Une auréole d'abnégation et de splendide vaillance va se lever autour de ces combattants trop souvent hésitants jusqu'alors et qui deviennent des héros d'épopée. Les quelques mémoires que l'on possède de cette époque1, placée comme toutes les époques sacrées sous le signe funeste de la Violence'2, portent la trace du chemin parcouru par la notion épurée du patriotisme dans les âmes américaines. Des familles entières se sacrifient, avec un élan admirable, pour une cause que quelques années auparavant, on disait être l'ouvrage de « brigands et de fous ». Des femmes, accoutumées aux sourires, aux douceurs de la vie, à la tendresse, révèlent soudain des sentiments Spartiates. Telle la jeune épouse d'Arismendi, emmenée captive en Espagne, accouchée dans sa prison d'un « nouveau monstre », écrivaient ses bourreaux, à laquelle on promettait la liberie pourvu qu'elle conseillât à son mari de déserter là cause républicaine, et qui répondait fermement : « Je suis incapable de déshonorer mon mari ; son, devoir est de servir sa patrie et de la délivrer8. » Cette guerre devint aussi l'école de toute une série d'hommes de valeur qui, nés au milieu du peuple, auraient, d'après la marche ordinaire des choses, passé leur vie dans l'apathie, la monotonie et la grossièreté traditionnelles et qui, depuis, suivirent une carrière glorieuse et s'élevèrent au comble des honneurs par les exploits les plus brillants '1. On peut dès lors se demander s'il ne fallait pas à la religion de la Patrie américaine des martyrs nombreux et magnifiques et si le t. V. notamment Biogra/ia ciel General Joaquin Paris, dans Répertoria Colombiano, t. X, p. 194. 2. SUARÈS, Essais sur la vie, t. II, p. 128. S. V. BRICEÑO, Hisloria de la Isla Margarita, citée par GIL FORTOUL, op. cit.. t. I, ch. VII. 4. GERVINUS, op. cit., t. VI, p. 265.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.