Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LA GUERRE A MORT

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ils le croient du reste, qu'il ne s'agit plus de modération, mais de faiblesse, et que nous en sommes encore à craindre le fouet de nos anciens maîtres 1. » C'étaient ces considérations mêmes que faisait valoir la proclamation de Trujillo. On peut y constater une fois de plus à quel point la Révolution sud-américaine se personnifiait en Bolivar. Généreux tout d'abord comme elle avait été généreuse dans ses principes et ses débuts, le Libertador témoignait à présent de l'implacable cruauté qui s'était imposée à tous. Tel est le sens de cet appel officiel à l'extermination. Assurément la grande âme de Bolivar était capable d'aimer et de haïr jusqu'à la fureur2, la volonté souveraine qui lui commandait de tout subordonner à l'idéal dont il s'était institué l'artisan ne connaissait aucune entrave : que la guerre, la guerre surtout telle qu'on la comprenait alors, fût une chose terrible, cela pouvait être, mais la patrie est une chose sublime et le culte qu'en avait Bolivar tenait pour rien le reste. Il faut voir toutefois, dans le geste de Trujillo, plus qu'un acte représentatif et mieux qu'une explosion de géniale colère. La proclamation impliquait une idée ; elle était une initiative de haute et prévoyante politique. A ce titre, la déclaration de guerre à mort par Bolivar, isolé parmi des embûches et des ennemis sans nombre, avec une poignée d'aventuriers héroïques, n'a sans doute jamais eu dans l'histoire moderne qu'un précédent. C'est la sublime hardiesse de Fernand Cortéz brûlant ses vaisseaux pour anéantir, dans le cœur de ses compagnons, toute chance de salut autre que celle de la victoire 3. En proclamant publiquement l'irrémédiable haine 1. Rapport du général San Martin au gouvernement de la Plata, 16 avril 1811. Archives du Ministère de la Guerre de Buenos-Ayresr, cité par MITRE, op. cit., t. I, ch. V. p. 234. 2. « Vous me connaissez, écrivait Bolivar dans une lettre particulière, vous savez que je suis plus généreux que personne envers mes amis et ceux qui me veulent du bien, vous savez aussi que je suis terrible pour ceux qui m'offensent ». — Lettre de Bolivar à Juan Jurado. Campo de Techo, 8 décembre 1814. Epislolario, t. I, p. 30. 3. V. BLANCO-FOMBONA, art. cit., % 6.


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