Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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BOLIVAR

C'était la première fois qu'en dehors des sermons des prédicateurs, les fou'es entendaient de tels appels, émouvant au fond de leur être une sensibilité toujours prête à s'enflammer pour les causes passionnément défendues. Ignorantes et malléables, ces foules vibraient sans doute encore de même sorte aux accents et à la véhémence des gestes de l'orateur, quelles que fussent les notions qu'il entreprît d'imposer autour de lui. Nous avons vu les moines employer ces moyens à merveille, et tant que le parti royaliste put compter avec le clergé, celui-ci sut incomparablement mettre son prestige traditionnel au service des intérêts politiques. Peu à peu néanmoins le républicanisme instinctif de la race s'éveillait, s'imprégnait des idées que les Proceres propageaient avec toute l'ardeur communicative d'un sacerdoce. Le peuple s'accoutumait à séparer en son esprit ces deux conceptions primitivement inséparables : la foi religieuse et la patrie. Jamais pourtant les populations américaines n'avaient éprouvé d'impressions aussi profondes que celles dont le langage de la liberté leur apportait la révélation. Un charme n'eût pas opéré plus de prodiges. Les Indiens, inconscients jusqu'alors, les commerçants, les cultivateurs indifférents, les créoles oisifs se pressaient, en une ferveur égale, sous les drapeaux de Bolivar. L'enthousiasme gagnait les pays d'alentour. De la province de Barinas et même de celle de Caracas les volontaires affluaient. La région de Carâche, où s'était fortifié Canas, tenait cependant pour le roi. Bolivar, encouragé par les progrès presque inespérés de son entreprise, conçut alors le projet de délivrer en son ensemble la province de Trujillo. Il ordonna à Girardot d'attaquer les Espagnols fortement retranchés sur les hauteurs d'Agua-de-Obispos, voisines de Carâche. L'engagement eut lieu le 19 juin et une victoire complète récompensa l'impétueuse ardeur des républicains : ceux-ci diminuèrent cependant leur gloire en exécutant les prisonniers après le combat : cette horrible pratique devenait commune à chacun des adversaires qu'une guerre, désormais sans merci, mettait aux prises. Le succès de Girardot ajoutait en


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