Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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BOLIVAR

pris altier des classes inférieures. Sur les 50.000 habitants que comptait en 1812 la capitale péruvienne, près de la moitié était de race péninsulaire ou créole. De mœurs conservatrices, mystiques et rien moins qu'austères, cette élite prépondérante avait su faire partager aux mulâtres, aux indiens, aux noirs, d'ailleurs satisfaits, asservis ou dociles, le respect dont elle entourait le vieux marquis de la Concordia, Don José de Abascal, populaire entre tous les vice-rois sud-américains. Abascal s'entendait le mieux du monde à donner de brillantes fêtes aux nobles liméniens, à traiter le peuple avec bienveillance. Il possédait une armée, des milices considérables, des vaisseaux : les entreprises timides et rares des patriotes isolés semblaient sans conséquence dans l'ensemble à la fois immuable et puissant que présentait, au milieu du désarroi général de l'Amérique espagnole, la citadelle péruvienne, indemne, redoutable et redoutée. Ce n'est point à dire que ses tentatives de défense ou d'attaque fussent toujours heureuses et faciles. La séparation des provinces de la Plata, érigées depuis 1778 en une vice-royauté nouvelle, avait conféré à Buenos-Ayres une importance dont nous avons eu l'occasion de signaler les résultats considérables pour la diffusion et le progrès de l'idée révolutionnaire dans cette partie de l'Amérique. Buenos-Ayres, devenue en moins de trente années presque aussi populeuse que Lima, contrastait avec elle, aussi bien par son aspect monotone et sans grâce que par le caractère sérieux, farouche et fermé des habitants 1. Construite de maisons plates s'étendant toutes pareilles le long des rues et des avenues courant de l'est à l'ouest et du nord au sud et se coupant à angles droits, la ville formait une sorte d'immense et morne échiquier dominé çà et là par les arcades surélevées de la grand'place, la Recoba vieja, les clochers sévères de Santa Catalina, de Santo 1. Cf. D'ORBIGNY, Voyages. MIERS, Travels in Chile and La Plata. Londres, 1826. S. HAIGH, Sketches of Buénos-Ayres and Chile. Londres 1829, etc. V. aussi : SARMIENTO, Civilization y Barbarie. Trad. française de Giraud. Paris 1853.


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