Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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ORIGINES DE LA RÉVOLUTION SUD-AMÉRICAINE

donner toute la mesure de la puissance germinatrice des manifestations de la pensée française et justifier la prophétie que venait de formuler André Chénier: « La révolution qui s'achève parmi nous est grosse des destinées du monde1. » Narino travaillait, un soir des premiers mois de J 794, dans sa bibliothèque, lorsqu'on vint l'avertir que le capitaine de la garde, Rodiguez de Arellano, avec lequel il était en relations, demandait à le voir. Narino reçut sa visite et l'officier, connaissant le goût de son ami pour les livres français, lui remit un ouvrage que le vice-roi venait de recevoir, qui l'intéresserait sans doute et qu'il lui recommanda de tenir secret, à tout hasard, l'Inquisition, dont la discipline s'était, il est vrai, quelque peu relâchée, pouvant être malgré tout tentée d'en prendre ombrage... C'était, en trois volumes, l'Histoire de l'Assemblée constituante, de Salart de Montjoie. Arellano parti, Narino ouvrit le tome troisième. Il contenait le texte in-extenso de la Déclaration des Droits de l'Homme qu'il avait jusqu'à ce jour vainement essayé de se procurer et qui lui paraissait être le nouveau Décalogue en qui se résumaient les principes sublimes de la « société régénérée ». Tous ceux qui suivaient alors les événements dont la France et l'Europe venaient d'être le théâtre, éprouvaient, d'ailleurs, quelque chose de ce sentiment et beaucoup s'étaient trouvés entraînés dans le « tourbillon électrique » dont avait parlé Mirabeau. Narino, dès cet instant, en subit l'influence. Dans un transport de mystique enthousiasme, il pressentit l'effet prodigieux que produirait sur ses compatriotes la diffusion de ces Tables de la Loi de la Révolution et résolut de les publier. La presse qu'il avait installée était toute prête. Narino consigna sa porte, ne « croyant pas mal faire de s'enfermer ainsi chez lui » — devait-il dire malicieusement, quelques semaines plus tard, dans sa défense— « puisqu'il en faisait autant pour lire la Sainte Bible2 » ; il 1. Avis aux Français. 28 août 1790. 2. Défense de Narino devant le Suprême Tribunal de l'Audience de Santa-Fé. Septembre 1794, dans El Precursor, p. 96.


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