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ORIGINES DE LA RÉVOLUTION SUD-AMÉRICAINE
du « membre le plus puissant de la hiérarchie », éveilla l'inquiétude des ordres mêmes dont les clameurs avaient tant influé sur la décision souveraine1. Le gouvernement espagnol dut consentir aux concessions les plus coûteuses pour calmer leurs appréhensions et s'assurer leur appui, d'ailleurs maladroit et illusoire. Le basclergé, qui se recrutait à présent presqu'exclusivement parmi les américains, et qui perdait de sa valeur depuis que la direction des séminaires avait été enlevée aux jésuites, se vit du même coup atteint dans son prestige. Son loyalisme s'attiédit. Les curés de campagne devinrent communément partisans de l'indépendance, et dans le Mexique ils prirent même l'initiative et la conduite des soulèvements. L'expulsion des jésuites exerça, du reste, sur la Révolution sud-américaine, une influence encore plus directe. Les huit ou dix mille religieux de la Compagnie, bannis du Nouveau Monde et dont un nombre considérable étaient nés en Amérique, se réfugièrent aux Etats-Unis, en Angleterre, en Russie, en Allemagne et dans les Etats Pontificaux. Les privations, la pau\ reté qu'ils y connurent leur firent regretter avec plus d'amertume l'existence aimable et large qu'ils menaient autrefois, la vénération dont les entouraient des populations soumises ou dévouées, tout ce qui faisait des Colonies, pour ceux-mêmes d'entre eux qui n'en étaient pas originaires, une patrie véritable. Une rancune profonde contre le gouvernement qui les en avait exilés se mêla dans l'âme des anciens jésuites à rattachement qu'ils se sentaient pour ce foyer perdu. Ils n'eurent bientôt pas de plus ardente pensée que de voir la couronne d'Espagne dépossédée de ces domaines et devinrent en Europe les propagateurs attitrés de la révolution. Au sein des conspirations qu'on voit se tramer dès lors contre la domination coloniale, l'instigation des jésuites se retrouve toujours. Ils se sont affiliés aux émissaires des Comuneros et le ministre d'Espagne à Londres, informant son gouvernement des 1. Cf.
GERVINUS,
Histoire du dix-neuvième siècle. Paris, 1865, p. 42.