Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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ORIGINES DE LA RÉVOLUTION SUD-AMERICAINE

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Reprises par les Français, chez qui « la veine de pensée libre courait depuis les fabliaux du moyen âge à travers Rabelais, Montaigne, Molière et Bayle 1 », ces doctrines acquirent une forme prestigieuse. L'esprit de Voltaire et la sagesse de Montesquieu les rendirent accessibles et séduisantes. Ils firent jaillir les premières étincelles du grand flambeau dont les lueurs allaient se répandre sur l'univers et l'élite intellectuelle française, avec d'Alembert et. Diderot, sembla fixer, dans l'Encyclopédie, un terme définitif aux longs tâtonnements de la connaissance. Ce fut le temps où, comme le dit Michelet, « l'âme humaine gagnait quelques degrés de chaleur de plus ». La France devint le foyer des « lumières » dont la société européenne était impatiente. Catherine, Frédéric II, les princes de Mayence, de Bade et de Weymar, Gustave de Suède, Joseph d'Autriche et les ministres, qui gouvernaient au nom de leur souverain à Naples, en Portugal ou en Espagne, se prirent d'une admiration enthousiaste pour les idées françaises et s'en instituèrent partout les artisans2. Mériter par une réforme, digne de la « raison », — comme on disait alors — l'approbation des « philosophes », était pour les hommes d'Etat et même les princes, piqués d'émulation, la plus enviée des récompenses. Au premier rang des ministres convaincus de la bonté des nouvelles maximes et soucieux de les mettre en pratique, se distinguait, en Espagne, le comte d'Aranda 3. Son patriotisme sincère souffrait de l'abaissement intellectuel et matériel de son pays; il lui tardait de le replacer « au ton de l'Europe 4 ». Imité d'ailleurs en cela par ses collègues Campomanes et Florida Blanca, il avait conseillé les plus sages mesures au roi Char1.

S. REINACH,

2.

V.

Orpheus, p. 498. L'Europe et la Révolution française, t. I, ch. III. 3. ARANDA (Pedro Pablo Abaraca y Bolea, comte d'), né en 1718, mort en 1799. Président du Conseil de Castille en 1765, il expulsa les jésuites en 1767. Éloigné du pouvoir en 1773, il reçut l'ambassade de Paris et signa en cette qualité le traité de Paris en 1783. Rappelé au ministère en 1792, il n'y resta que peu de temps. 4. ' SOREL, Ibid., p. 369. SOREL,


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