Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LES INDES OCCIDENTALES

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nécessités effroyables des privations qu'ils endurèrent, porteraient les Conquistadors à s'entr'égorger, à se souiller même parfois de brutalités innommables La destinée tragique des Pizarre, des Almagro, de Balboa, Davila, Robledo, Benalcazar et tant d'autres, mourant de la main de leurs compagnons d'armes, les soldats assassinant leurs capitaines, les rébellions de ceux-ci contre l'autorité du souverain et les affreux tourments qui les punirent, composent un tableau pantelant d'horreur auquel il faut chercher d'autres origines que les mœurs dévoyées du siècle ou le simple déchaînement d'aptitudes à la cruauté. Ces exemples présidant à la naissance de la société américaine la prédisposèrent davantage aux séditions, la dotèrent d'une impétuosité volcanique et la puissance royale eut aussi bien à réprimer sans cesse de perpétuelles révoltes. La plupart étouffées dans le silence des contrées perdues n'ont pas laissé de traces. Elles s'élevaient comme les flambées soudaines de l'immense brasier révolutionnaire que furent de tous temps les Colonies espagnoles. Il ne faudrait pas croire toutefois que ces rébellions 1. Qu'on en juge par cet extrait d'un des plus véridiques chroniqueurs de la Conquête « Au cours de son second voyage d'exploration sur les rives du Magdalena, le capitaine Alfinger décida d'envoyer à Coro une somme d'environ trente mille piastres d'or dont il s'était emparée et la confia à vingt-quatre de ses hommes commandés par un certain Vascona. S'étant égarés quelques jours plus tard, sans vivres et se sentant mourir de faim, ces gens enterrèrent leur trésor au pied d'un arbre pour venir le reprendre quand une meilleure occasion s'en trouverait. Mais, comme leurs forces allaient tout à fait les abandonner, ils accordèrent de tuer le peu d'indiens et d'indiennes qui étaient restés à leur service et d'aller chaque jour mangeant chacun le sien... Ce qu'ils firent, en effet, sans laisser d'eux ni tripes ou quoi que ce fût pouvant avoir saveur mauvaise ; il advint même qu'ayant tué le dernier indien et jetant, comme ils le dépeçaient, les parties génitales, telle était la faim rageuse d'un soldat nommé Francisco Martin, qu'il se précipita comme un chien sur le morceau, le saisit et l'avala tout cru, disant : « Comment faire fi de ces choses en occurrence pareille... » Ils se séparèrent ensuite par crainte que la faim les obligeât à se tuer entre eux ». FRAY PEDRO SIMON, op. cit. Notice deuxième, ch. V et VI. Cité par JOSÉ GIL FORTOUL, Historia Constitutional de Venezuela, t. I, ch. I, p. 6.


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