Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LES INDES OCCIDENTALES

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provinces d'outre-mer, les difficultés qu'elle avait éprouvées dès le premier instant, à y faire prévaloir son autorité, lui semblaient justifier, plus que partout ailleurs, l'application du « divide ut imperes », envisagé par les gouvernements européens comme la maxime primordiale de toute bonne politique. La subdivision minutieuse des métis en castes plus ou moins méprisées suivant leur couleur, les différences de traitements adoptées par l'administration coloniale à l'égard des mulâtres proprement dits, des tercerons, des quarterons, des zâmbos *, avaient créé des jalousies violentes auxquelles participaient les créoles par le dédain irréductible qu'ils manifestaient pour toutes les autres catégories sociales. Chacun enviait la caste supérieure à la sienne et toutes se haïssaient entre elles. Les origines régionales même étaient devenues prétextes à querelles. L'habitant des hauts-plateaux, donnant à celui des côtes son épithète de costeno, la prononçait avec une insolence aussi dédaigneuse que le costeno, précisément, qualifiant l'autre de montanés. Rien ne pouvait mieux se prêter que cet état d'esprit à la soumission absolue que la Couronne souhaitait d'imposer à ses sujets d'Amérique et dans laquelle le clergé s'efforçait de les maintenir. On avait considéré dès le début, que le meilleur moyen d'assurer l'obéissance des indigènes était d'en faire des chrétiens. Une fois convertis — et ce fut trop souvent avec une affreuse désinvolture que certains d'entre les moines de la Conquête envoyèrent en paradis leurs ouailles récalcitrantes2 — il importait que les survivants, et plus tard leurs descendants, restassent pénétrés de la « divinité du pouvoir royal » 3 et ne fussent point tentés d'approfondir leur condition de sujets soumis à des lois indiscutables. L'entretien systématique de l'ignorance ré1. Nés d'indien et de nègre. 2. Les moines baptisaient en masse les indigènes qu'on massacrait ou brûlait ensuite en toute sérénité. V. les récits de GARCILASO DE LA VEGA, de BERNAL DIAZ DEL CASTILLO, etc. 3. J. M. RESTREPO, Revolution de la Republica de Colombia. Introduction, p. XXXIV.


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