Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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MIRANDA

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Miranda en avait éprouvé une déception profonde et quand, repoussé d'autre part, il était revenu à la charge auprès des ministres britanniques, c'est avec rancœur qu'il avait dû s'y résoudre. Il avait échoué de nouveau. Les circonstances le ramenaient à présent pour la troisième fois à Londres, n'ayant rien abdiqué sans doute de son espoir, mais ulcéré, sentant peser sur lui la contrainte d'une attraction qui devenait plus pénible depuis qu'il la jugeait, pour ainsi dire, fatale et compromettante aussi. Les vicissitudes des relations de Miranda avec le gouvernement anglais, de 1785 à 1810, résument essentiellement les rapports des Colonies espagnoles et de l'Angleterre durant cette période, et les sentiments du représentant des libéraux sud-américains sont encore le reflet même de ceux qui s'imposèrent à ses compatriotes. Du jour où les créoles enthousiastes et confiants, remettant les destinées de leur indépendance entre les mains de la Grande-Bretagne, s'inféodaient à sa politique, ils n'avaient pas tardé à en devenir les esclaves. Et s'ils l'avaient considérée d'abord comme la protectrice évidente envers qui la reconnaissance serait légère et légitime, ils la détestèrent ensuite comme une pourvoyeuse inéluctable, que l'on ne cherche plus à retenir que par l'intérêt. L'aversion de l'étranger, dogme instinctif et fondamental des nationalités jeunes, pénétrait aussi la conscience des Américains à mesure que les secours extérieurs leur apparaissaient comme plus nécessaires et que progressait leur civisme. La barque frêle de la naissante patrie sud-américaine avait ambitionné de prendre place dans le sillage historique du vaisseau d'Albion. Celui-ci l'entraîna bientôt à travers les remous et les tempêtes. La chaloupe se sentait dériver sur les écueils et l'étreinte du câble de remorque se resserrait cependant : l'équipage de la barque, lassé de sa sujétion, prétendit un jour le dénouer, mais il comprit, la rage au cœur, qu'il ne lui appartenait plus de se ressaisir. Réduits à n'être qu'un enjeu de la politique anglaise


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