Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LE PRÉCURSEUR

L'assurance de ses réponses, la fierté de son attitude rendirent superflue l'éloquente défense de ChauveauLagarde. Et bien que les Girondins, à l'influence desquels Miranda avait dû son envoi à l'armée, maintenant perdus dans l'esprit public, fussent impuissants à élever la voix en faveur de leur ancien protégé et que ce souvenir même constituât à la charge de l'accusé un terrible motif de rigueur, il fut acquitté à l'unanimité des voix par le tribunal révolutionnaire. Chaque juré, chaque juge, en émettant son opinion, y ajouta un éloge, et Miranda, dont quelques jours auparavant on demandait la tête, fut porté en triomphe jusque dans sa maison 1. La fatalité qui poursuivit toujours Miranda le raillait cruellement. Les qualités et les talents déployés durant cette campagne ne lui servaient de rien. Ce fut assurément, par attachement profond à la Révolution française, qu'il vint combattre parmi ses défenseurs, mais c'était surtout avec l'arrière-pensée de s'y forger une gloire dont il escomptait la récompense en faveur des intérêts de sa patrie. Il restait intimement et fidèlement attaché au projet d'émancipation de l'Amérique, pour lequel il avait espéré l'appui de la France libertaire. Elle n'aurait pu le dénier, pensait-il, à l'un de ses sauveurs. Ce projet secret n'était d'ailleurs pas ignoré du Conseil exécutif, et l'affranchissement de l'Amérique espagnole avait été envisagé à plusieurs reprises au cours de l'année 1792. Il avait fait partie des combinaisons que Dumouriez, ministre des Affaires étrangères, préconisait en mars, prétendant y associer l'Angleterre et obtenir par là sa neutralité. Après le 10 août, l'agent Noël avait été chargé d'insinuer à Londres « l'idée d'une action commune destinée à assurer au commerce des deux pays les colonies espagnoles de l'Amérique du Sud », et les instructions qu'emportait Talleyrand en partant à son tour pour l'Angleterre, le 8 septembre, l. CHAMPAGNEUX, op. cit., et Archives Nationales. W. 1 bis, Tribunaux Révolutionnaires. Affaire Miranda. Jugement du 16 mai 1793.


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