Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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LE SERMENT DU MONT SACRÉ

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railles, aux sommets et sur les flancs des collines fameuses, également envahies par les palais, les basiliques et la majesté désolée de la Campagne dont les ondulations recouvrent au loin le sillage disparu de tant de peuples, éveillaient chez Bolivar les sentiments communs à toute la génération dont la magie du verbe de Chateaubriand a fait revivre l'émotion à la fois poignante et grandiose. Les traces de René étaient fraîches encore aux marches du Colisée que Bolivar les foulait à son tour. Une Énéide, un Tacite dans la poche, il parcourut les ruines glorieuses, éloquentes, inspiratrices. Il y rêva sans doute à l'aspect du « palmier solitaire qui semble être placé tout exprès sur ces débris pour les peintres et les poètes 1 » et qui ramenait sa pensée vers la patrie lointaine. Le « Génie du Souvenir», qui présidait aux méditations tourmentées de René, n'était pas seul à venir « s'asseoir aux côtés » de cet autre adolescent. Son âme, aussi démesurée, ne connaissait pourtant encore de la Tristesse que la conventionnelle apparence. Elle ne se voulait limitée par aucun obstacle et le Génie de l'Avenir, ce « Dieu de la Colombie » qui hantera les « Délires » romantiques du Libertador 3 1. CHATEAUBRIAND, Voyage en Italie, Lettre à M. de Fontanes. Rome, 10 janvier 1804. 2. V. CHATEAUBRIAND, René, Œuvres complètes. Paris Gamier, t. III, p. 77. 3. C'est probablement en 1824 que Bolivar écrivit, après avoir accompli l'ascension du Chimborazo, le célèbre Delirio d'une si évidente inspiration romantique. La traduction ne rend que très imparfaitement la beauté accomplie des expressions et des images, la cadence et l'harmonie du style. On serait tenté de donner pour épigraphe à cette page étonnante le couplet final du récit de Chateaubriand : « Écho du rivage américain, répétez les accents de René...... » « Enveloppé dans l'Echarpe d'Iris (a), j'arrivais des contrées où l'Orénoque apporte au Dieu des Eaux son tribut magnifique. J'avais visité les sources mystérieuses de l'Amazone et je voulus monter au sommet de l'Univers. Je cherchai les traces de La Condamine et de Humboldt ; audacieux, je me mis à les suivre, rien ne put m'arrêter ; j'atteignis la région glaciale. Aucun mortel n'avait foulé jusqu'à ce (a) Les couleurs fondamentales de l'arc-en-ciel, le bleu, le jaune et le rouge, avaient été choisies par les Colombiens pour leur drapeau. V. infra, liv. IL ch. III.


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