Bolivar et l'Emancipation des Colonies Espagnoles : des origines à 1815

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ORIGINES DE LA RÉVOLUTION SUD-AMÉRICAINE

avant de quitter Caracas retint encore quelques mois Bolivar au Vénézuéla. Il confia l'administration de ses biens à Juan, son frère, et partit enfin. La traversée fut longue et c'est par des lectures encore que le voyageur en occupa les loisirs1. 11 avait avec lui Plutarque, Montesquieu, Voltaire, Rousseau surtout dont il respirait le sortilège. Les infortunes des amants de la Nouvelle-Héloïse durent lui arracher de ces larmes où la « sensibilité » de l'époque se complaisait tant, travers conventionnel auquel il sacrifia comme ses contemporains, mais qui, cette fois du moins, avait pour excuse sincère les échos éveillés dans un cœur si récemment meurtri. Il retrouva dans les ouvrages philosophiques du « citoyen de Genève » les théories préférées de son maître et jusqu'à des passages entiers que lui récitait Rodriguez. L'enthousiasme des vertus publiques s'animait en son esprit. Ce sentiment se précisait parfois jusqu'à lui laisser entrevoir en éclaircies soudaines des visions d'avenir. La Liberté ! ce mot le faisait frémir jusqu'aux moelles. N'était-il pas destiné à se consacrer à son tour à la religion nouvelle dont il avait trouvé déjà plus nombreux les adeptes à Caracas ? Il le pensait sans doute et, dès le débarquement à Cadix, il se mettait en relations avec des compatriotes inconnus venus à sa rencontre qui l'admettaient quelques jours après aux mystères de la « Grande Loge Américaine2 » où on lui faisait prêter le serment solennel : « Tu ne reconnaîtras pour gouverneurs légitimes de ta patrie que les élus de la libre et spontanée volonté du peuple et le système républicain étant le mieux adaptable au gouvernement des Amériques, lu emploieras tous les moyens en ton pouvoir pour le faire admettre à ses populations3. » Pourtant, il repartait pour Madrid, y retrouvait les traces de son bonheur si court et pleurait longuement avec le père de Maria Teresa. Le chagrin le reprenait. 1. O'LEARY, Memorias, etc., op. cil., I, p. 14. 2. V. infrà, liv. II, ch. III, § 1. 3. V. MITRE, Historia de Belgrano. 3 v., Buenos-Ayres 1860, t. ch. XXIII, p. 272.

II,


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