Aux Antilles : hommes et choses

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DE PAUILLAC A TRINIDAD

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corpulence, coiffé du casque colonial avec une longue barbe rousse qui s'épanouit en éventail sur son gilet. Tandis qu'il s'éloigne, les bouches se ferment, les acclamations s'apaisent. On sent comme un soulagement dans cette foule. Son héros vu, le peuple se retire, satisfait. Cependant, à mes côtés, un nègre dégingandé crie à tue-tête, sans répit, comme une mécanique à remontoir : « Vive la Sociale! Vive la Sociale! » Un de nos amis l'interpelle : « Voyons, mon ami, pourquoi criez-vous comme cela vive la Sociale?» — Une moue, un regard de travers, et d'une voix bourrue : « Pa'que c'est le pati de *** pableu. — Ah, ah, vous l'aimez donc bien votre député? — Oui, citoyen. — Vraiment, et pourquoi cela? — Pa'que c'est un homme qu'a un beau bâbe (une belle barbe) » Beautés du suffrage universel aux Antilles, je renonce à vous mieux dépeindre. Croissez et 1. Pour des motifs plus rationnels certes, tant parmi les classes laborieuses que cultivées, le candidat dont s'agit est fort populaire aux Antilles. L'anecdote n'en est pas moins piquante. Au reste nous aurions tort de railler; en France, on en pourrait citer de semblables. Et cela ne doit point faire condamner absolument le suffrage universel, qui, tôt ou tard d'ailleurs, triomphera partout, mais simplement aboutir à cette constatation qu'en ce qui concerne l'éducation des masses il reste beaucoup à faire en Europe comme en Amérique.


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