Aux Antilles : hommes et choses

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AUX ANTILLES

penche son cavalier. Les bouches effleurent les bouches. Les jambes s'entre-croisent ; les ventres se frôlent, se pressent. La valse tourne sur un rythme très lent. Les pas ne sont plus qu'un piétinement sur place. Subitement, tout devient noir ; des préposés aux quinquets les ont éteints. Les notes d'un solo de clarinette s'égrènent,si douces, si faibles, qu'on les entend à peine. On ne perçoit plus que le froissement des couples qui tournent, le frôlement léger des pieds sur le parquet, les souffles précipités des respirations haletantes. Puis soudain tout se rallume: surpris, trahis par la lumière subite, les couples apparaissent presque pâmés, immobiles. Les visages extatiques, yeux mi-clos, lèvres entr'ouvertes ont une expression outrageusement sensuelle. Gela dure quelques secondes,puis d'une attaque soudaine, déchirante, la musique reprend,bruyante, tumultueuse, et la foule des danseurs s'ébranle, se mêle, se confond, recommence à tourner éperdument. Ce sera là mon dernier souvenir de la Pointeà-Pitre et des Antilles. Peut-être vous semble-t-il symbolique, ce bal. « Cette musique, direz-vous, n'est-ce point la note définitive qui doit rester de ce peuple? Sans notre fébrilité d'Européens, sans nos rivalités politiques apportant à ces noirs l'ef-


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