Les corsaires du Roi

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L'ANGE DU VENT

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La pluie tombait à grosses gouttes sur les têtes nues des compagnons ; et pendant toute la cérémonie, l'eau coulait de la bordure de la grande voile sur nos messieurs. Je n'ai jamais entendu le vent siffler dans les cordages avec plus de mélancolie, ni vu la voile frémir avec plus d'angoisse. Il semblait que tout le navire chantât d'une voix lugubre et qu'il fût las de naviguer. On n'entendait rien du service des morts ; on voyait seulement le pasteur faire des bénédictions et tourner autour du cercueil. Ce ne fut qu'à un signe du capitaine que les matelots comprirent que c'était l'heure. On les vit pousser le cercueil vers la mer. A ce moment même, une longue rafale passa sur le vaisseau qui craqua de l'avant à l'arrière et gémit tout entier. On ne vit pas disparaître la caisse, personne ne l'entendit tomber dans la mer. Tout d'un coup, à la place où s'étendait la morte, il n'y eut plus rien, et l'on ne vit pas l'eau rejaillir. Et quand cette nuit lugubre fut passée et le calme revenu, je fus certain, comme tous ceux du navire, et Jacques Faithful lui-même, bien qu'il ne crût à rien qu'à ses livres, nous fûmes bien sûrs que le vent n'avait soufflé si fort que pour enlever notre ange et le transporter jusqu'au ciel.


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