Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

les plombs et transportèrent la boîte près d'un bossoir, la tête et le boulet au-dessus de la mer. Tout l'équipage s'était rassemblé alentour. Malgré la houle et les fortes lames, on en voyait jusque dans les sabords du troisième pont et dans les enfléchures des haubans. Nos messieurs étaient rangés sous la grande voile qui apparaissait toute blanche au milieu de la nuit à cause de la multitude des lampes suspendues aux drisses et aux étais. Puis l'on vit s'avancer le capitaine suivi du ministre en habit noir, qui commença les prières des morts. Le vent augmentait de minute en minute. La grande voile tirait sur les bras de vergue et tourmentait tellement le navire qu'on ne savait s'il fallait interrompre les funérailles pour s'occuper de la manœuvre. Cependant personne ne quitta sa place autour du cercueil, et peut-être qu'on eût donné sur un brisant, tant était grande l'indifférence pour tout ce qui n'était pas notre petit ange. Le franc-tillac et le second pont étaient complètement dans l'eau ; plusieurs fois le bossoir y fut plongé, de manière que la crète des vagues vint toucher la pointe du cercueil, et que les hommes postés aux sabords eurent les culottes trempées. Mais aucun d'eux n'eût abandonné sa place, qui était la meilleure pour donner à la morte le dernier adieu.


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