Les corsaires du Roi

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LA MUSIQUE DANS LA BATTERIE doucement nos visages. Nous étendions les bras, nous ouvrions les mains, nous touchions l'air qui remuait. Puis, sans nous être rien dit, nous nous sommes précipités aux drisses, avec des forces toutes neuves, nous avons déployé toutes les voiles qui nous restaient, ne pensant qu'à cela : sortir ! sortir de ce fleuve bleu ! Et le Gaillard-Goutteux, avec quelle lenteur, mes amis ! tourna sa proue vers l'ouest, refoulant de son étrave les flots qui, depuis tant de jours, le portaient où ils le voulaient.

Et pour ceux qui veulent savoir le vrai drame de ces heures terribles, moi, le Nouguéro, je dis ceci, et je le jure sur mon salut. C'est à Miquelon, où nous avions abordé huit jours après, que le Flamand nous fit sa confession. Il nous avait caché pendant trois semaines la mort de son matelot, continuant, pour nous tromper, sa musique d'enfer ; il avait dormi chaque soir près du cadavre de son ami, dans la peur, dans le dégoût, dans la dernière des tristesses : et cela parce qu'il avait faim, parce qu'il voulait manger double ration. En échange, pour nous servir, il étranglait chaque matin un malade dans son hamac : cela diminuait


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