Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

Et ce fut enfin le moment où il n'y eut plus personne là-dessous que les deux amis et leur damnée musique, car le Flamand avait remonté près de quarante de ses morts, le compte entier, et nous, tiré ceux des gaillards et de la chambre. Nous étions encore six ou sept, sans Jacques Platel qui s'en était allé avec ses hommes. C'était le premier-maître, Petitot, qui commandait, et qui distribuait les vivres. Je dis les vivres, comme pour rire : on se partageait maintenant le cuir des vergues et des coffres. Une courte pluie, qui survint pour notre sauvegarde, nous donna six pintes et demie, ni plus ni moins. Par fortune, il ne fallait plus que neuf rations, y compris celles du Chevalier et du Flamand. Il vivait toujours dans la batterie, près de son malade. Au milieu de la mer et de l'air immobiles, sa musique semblait s'exaspérer. On aurait dit que, par une espèce d'incantation, il cherchait à retenir la vie de son ami. Et nous, assis par terre, le dos rond, la tête dans les mains, nous écoutions sa messe de mort avec l'envie d'aller le tuer. Ensuite, arriva la brise tant souhaitée, depuis si longtemps qu'on n'y croyait plus. Un matin, vers dix heures, elle passa lentement sur le navire, de la proue à la poupe, comme un oiseau fatigué. Nous nous étions tous mis debout. Cela faisait bouger les cordes, cela caressait


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