Les corsaires du Roi

Page 74

72

LES CORSAIRES DU ROI

si c'est propre ou si ça ne l'est pas. Lui, restait dans le noir et la puanteur, parce que son camarade y souffrait. On ne le voyait guère, on savait seulement qu'il était là, près de la couche de son ami. Les sons de l'orgue remplissaient le navire ; et sur cette mer tellement calme, tellement bleue, avec son équipage décharné, cela ne ressemblait à rien de ce qu'on avait vécu. On entendait encore la voix du Chevalier, une voix rauque et violente d'homme qui a la fièvre : elle chantait comme jadis, mais, bien que la musique fût plaisante, il avait l'air de célébrer son propre requiem. Chaque matin, Van Danenbergh venait à la chambre chercher sa ration et celle de son matelot. Par la même occasion, il remontait les cadavres de ceux qui mouraient dans la batterie. On voyait émerger du capot, d'abord les pieds du mort, ensuite son corps plié en deux sur l'épaule du Flamand. Il jetait le cadavre près de la coupée. Nous venions tous reconnaître celui qui n'était plus : c'était à nous autres du tillac à le lancer à la mer. Ensuite on inscrivait sa part à la masse, et c'était pour les survivants quelques heures de plus à vivre. Il nous disait cela, ce frisé, avec une drôlerie effroyable. Puis il prenait ses deux rations et rentrait dans les flancs du navire. La musique de l'orgue s'élevait à nouveau de ce triste hôpi-


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.