Les corsaires du Roi

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LES CORSAIRES DU ROI

longtemps. Après, ce serait la faim et la soif, si la Providence ne daignait pas nous assister. Pour moi, si l'on veut que je le dise, je ne crois pas fort à la Providence, et si je me trouve ici parmi vous, mangeant le cochon et buvant le tafia, c'est que j'ai sans doute la carcasse en os de baleine et le cuir aussi dur que la peau de phoque, car je ne veux pas penser à ce que j'ai supporté, ni comment je fus des huit ou neuf qui se tirèrent de là. Ce n'était pas seulement la faim et la soif qui apparurent dans le temps marqué par notre capitaine : il vint encore une sale maladie qui se mit dans le ventre et les gencives, et coucha dans les branles les trois quarts de l'équipage, en attendant de les envoyer au fond de la mer, avec un boulet. Les autres s'occupaient à réparer le navire comme ils le pouvaient, au cœur l'espoir d'un peu de brise qui nous tirerait de ce fleuve indigo. Mais on n'était guère fort, n'ayant par jour qu'une once et demie de biscuit, chaque homme, et deux doigts de madère mélangé d'eau. Heureusement — car c'est le mot — les malades commencèrent à mourir, en sorte que cela fit de l'épargne pour les autres. Je ne veux pas vous raconter toute cette famine, car il n'est pas de marin qui n'ait connu quelque chose de ce genre, ou pour l'avoir subi, ou pour en avoir entendu le récit, ou


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